Avant-critique Essai

Corine Pelluchon, "L'être et la mer. Pour un existentialisme écologique" (PUF)

Corine Pelluchon - Photo © Florian Thoss

Corine Pelluchon, "L'être et la mer. Pour un existentialisme écologique" (PUF)

La philosophe Corine Pelluchon propose un existentialisme « liquide » afin de repenser l'écologie face aux grands défis de la crise climatique.

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Par Sean Rose
Créé le 04.09.2024 à 17h00

La mer qui fait penser. L'existentialisme affirme avec Sartre que l'existence précède l'essence. Comprendre : notre présence au monde due au seul hasard ne saurait être déterminée par un quelconque sens préexistant à notre naissance. Il n'y a pas de kit de survie au fondement métaphysique que nous aurait légué un Créateur omniscient, notre vie n'a pas d'autre sens que celui que nous lui donnons en l'incarnant. Cette prise de conscience nous amène à l'expérience du néant, du « sans-fond » de l'existence, et nous pousse à nous débrouiller seuls. L'action rédime l'absurde. L'homme condamné à être libre - autre formule sartrienne - n'est que ce qu'il fait. Dans L'être et la mer, Corine Pelluchon, pour imbue qu'elle soit de philosophie existentialiste, déplace notre regard sur le monde et sur l'homme. Certes, agir donne sens à notre carrière humaine. Mais trop longtemps, les hommes, aveuglés par l'hubris, se sont sentis les seuls locataires de la planète, et ont agi comme tel, au mépris de la nature et des autres êtres vivants.

Si Platon a pensé le monde à partir du ciel des idées, la philosophie des Lumières s'est emparée du concret des choses pour en dégager des lois éternelles à l'aune de la raison : elle a planté des concepts comme autant de jalons dans sa conquête de la vérité, cherchant à élaborer une méthode rigoureuse à l'épreuve d'une réalité élusive...

La barbarie des totalitarismes du XXe siècle, les horreurs qui n'ont cessé de se perpétuer jusqu'au siècle suivant et ce malgré les progrès technologiques et scientifiques ont de quoi faire douter de la souveraineté de la raison. Mais faut-il pour autant abdiquer la raison ? Renier l'héritage humaniste et universaliste, que les puissances occidentales ont parfois utilisé comme cheval de Troie de la colonisation ? Non, avait répondu Corine Pelluchon dans Les Lumières à l'âge du vivant, (Seuil, 2021), nous exhortant à ne pas jeter le bébé de cette pensée fondatrice de l'autonomie du sujet et de l'unité du genre humain avec l'eau du bain d'une critique légitime... Ici, l'apologiste de la cause animale nous invite derechef à nous défaire du « schème de la domination » en nous décentrant à partir de la mer. Devant l'abîme sans fond qu'est l'océanique masse d'eau, il s'agit de repenser notre place sur Terre et de refonder l'existentialisme en adoptant une manière fluide - un existentialisme liquide capable d'embrasser tout le vivant, l'environnement en son entier. Ainsi nous faudra-t-il quitter ce qui reste de narcissiquement anthropocentrique dans notre pensée. Retenant la leçon de la phénoménologie d'Husserl et de Merleau-Ponty avec l'idée de monde commun intersubjectif, reprenant la notion d'infini chez Lévinas ou celle d'identité chez Ricœur d'un « soi comme un autre parmi les autres », Corine Pelluchon délivre sa propre vision de la transdescendance (« cette transcendance dans l'immanence ») avec style, un style aussi limpide que son sujet est profond. Et nourrie de littérature et de poésie, elle se fait non sans un certain lyrisme l'avocate convaincante de ce nouvel existentialisme écologique.

Corine Pelluchon
L'être et la mer. Pour un existentialisme écologique
PUF
Tirage: 2000 ex.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782130850434

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