Les auteurs français émergents ont des parcours variés. Jeudi, les éditions Glénat rassemblaient quatre d’entre eux autour d’une table ronde. Christophe Cointault, auteur de la série Tinta Run, était inspecteur des impôts, dans sa "vie d’avant". VanRah, qui a récemment fait paraître Mortician, exerce toujours, elle, comme ostéopathe-pédiatre: "j’ai commencé en dessinant d’abord pour mes jeunes patients". Pour devenir des mangakas français reconnus, ces artistes ont beaucoup appris en autodidacte, en glanant des conseils autour d’eux. "Aucun d’entre nous ici n’est diplômé d’une école de manga", sourit Christophe Cointault.
Une collaboration récente
"Je ne pensais pas qu’en étant auteur français comme moi, on pouvait devenir mangaka", s’étonne encore Antoine Dole (aka Mr Tran), qui en a pourtant toujours eu envie. L’auteur de la bande dessinée populaire Mortelle Adèle avait une idée de scénario de manga, mais ne voulait pas le proposer à un éditeur avant d’avoir trouvé un illustrateur. Une connaissance commune l’a mis en relation avec le dessinateur talentueux Vinhnyu. Après une réponse positive de Glénat, leur série 4Life était lancée, avec un premier tome tout juste sorti début juillet. La relation avec les éditeurs reste très variable d’un auteur à l’autre. VanRah est fière d’affirmer qu’elle a "carte blanche pour travailler toute seule de A à Z". Christophe Cointault, lui, préfère les échanges rapprochés avec son collaborateur chez Glénat: "on discute presque tous les jours sur Facebook, y compris pour des petits détails de dessin. Ça me fait marrer. Lui me dit qu’on apprend ensemble." Cependant, VanRah tient à rappeler que la mise en relation entre maisons d’édition et mangakas français est récente: "en 2008, quand j’ai commencé à démarcher les éditeurs, c’était mission impossible. Ça ne se faisait pas de bosser avec un auteur français, il n’y avait pas de ligne éditoriale prévue pour ça." Et l’auteure de prendre sa revanche: "Je me suis faite décourager par beaucoup d’éditeurs, y compris Glénat. On me disait d’aller faire une école de dessins, de commencer par apprendre les bases."
Adaptation des choix éditoriaux et graphiques
Au Japon, les maisons d’éditions jouent d’un système de prépublication pour faire découvrir aux lecteurs les nouveaux auteurs. Chapitre par chapitre, des mangas sont publiés sur du papier recyclé, diffusé à moindre coût. Un avant-goût de la parution complète de l’ouvrage. "Sauf qu’en France, le lectorat n’a pas l’habitude de ce format "jetable". On a donc pris le parti d’imiter le système de prépublication, mais avec une plateforme numérique", présente Mahmoud Larguem de H2T. Leur plateforme compte une vingtaine de séries en prépublication. De quoi avoir des "feedbacks de lecteurs" que le mangaka peut prendre en compte pour solidifier la suite de son histoire, et répondre à leurs attentes.
La problématique de l’adaptation éditoriale pour une diffusion mondialisée se pose aussi côté japonais. Takumo Norita, animateur de Pandora Hearts et Broken Blade, en pleine séance de live drawing à la Japan Expo, esquisse un jeune garçon au point levé. "De plus en plus, dans les mangas et l’animation, les personnages se ressemblent, au point qu’il en devient difficile pour les lecteurs de mémoriser des personnalités, de s’y identifier." Le succès de l’export a un coût, graphique et créatif. Norita lève le feutre du tableau devant lequel il est accroupi. "Des éditeurs m’ont déjà demandé de délaisser mes techniques purement japonaises, et de m’imprégner de la mode vestimentaire des pays étrangers pour mes personnages. J’ai dû réfléchir pour changer ma manière de dessiner."