À quelques mois de son 80e anniversaire, la série Blake et Mortimer reste l'une des franchises les plus populaires et les plus dynamiques de la BD franco-belge. Chaque année, l'univers imaginé en 1946 par Edgar P. Jacobs ne cesse de truster le classement des meilleures ventes : en 2024, le 30e album Signé Olrik d'Yves Sente et André Juillard s'était par exemple emparé de la tête du classement des meilleures la semaine de sa sortie ; il s'est depuis écoulé à près de 250 000 exemplaires.
En 2022, le 29e opus Huit heures à Berlin de José-Louis Bocquet & Jean-Luc Fromental au scénario et Antoine Aubin au dessin avait fait encore mieux, atteignant les 325 000 copies. Selon Dargaud, les ventes cumulées des albums de Blake et Mortimer représentent quelque 20 millions d'exemplaires vendus dans les pays francophones depuis 1946.
Mais au-delà des albums qui perpétuent l'univers d'Edgar P. Jacobs, la franchise se réinvente avec intelligence entre nouveautés, carte blanche à des créateurs et beaux-livres explorant les archives de l'œuvre originelle.
La preuve avec les nouveautés de ce mois de novembre : l'album La Menace atlante, suite de L'Énigme de l'Atlantide écrite par Yves Sente et dessinée par Peter van Dongen, l'un des meilleurs repreneurs de Jacobs, concentrera l'essentiel des ventes ; il n'en sera pas moins accompagné d'un beau-livre sur la création du Piège Diabolique par Éric Dubois et Thierry Bellefroid et par La Double Exposition, un roman illustré signé Laurent Durieux, Sonja Shillito et James Huth. Réalisateur notamment de Brice de Nice, ce dernier a longtemps rêvé d'adapter au cinéma La Marque Jaune.
Yves Schlirf : « J'ai peur de ce qui peut arriver avec des gens qui n'ont pas ce contact avec Blake et Mortimer »
L'artisan de cette réussite éditoriale est depuis près de 30 ans Yves Schlirf, directeur éditorial de Dargaud Benelux. « Quand on a la chance d'éditer un tel classique, il ne faut pas l'entretenir uniquement par des bandes dessinées, assène-t-il. C'est une chose que Nick Rodwell fait très bien avec Tintin. » Un beau-livre consacré à la rivalité entre les deux artistes, Hergé - Jacobs : du duo au duel d’Éric Verhoest, paraîtra d'ailleurs en janvier 2026 dans une coédition Moulinsart/Casterman. De quoi « attirer de nouveaux lecteurs vers Jacobs », estime Yves Schlirf.
Le renouvellement de générations est pour lui un enjeu essentiel : « Ma seule inquiétude, c'est qu'à un moment, on ne trouve plus d'auteurs qui ont lu Jacobs dans leur enfance. J'ai peur de ce qui peut arriver avec des gens qui n'ont pas ce contact. » Yves Schlirf concède volontiers son investissement émotionnel dans Blake et Mortimer, saga à mi-chemin entre le récit d'aventures, la SF et le polar : « On vit une histoire d'amour avec Blake et Mortimer et le travail de Jacobs. Je n'ai jamais vu un auteur le faire pour de l'argent. »
Pour « dépoussiérer » et « renouveler » cet univers, l’éditeur a notamment dans sa besace deux tomes pour la collection « Un autre regard sur Blake & Mortimer », dans laquelle les auteurs peuvent innover graphiquement et narrativement, se départant ainsi de la patte du maître. Si les auteurs de ces deux prochains one-shots ont été choisis, Yves Schlirf préfère garder leur identité secrète. « Ce n'est pas encore signé », précise-t-il.
Variété et longévité
Le premier essai de cette collection, Le Dernier Pharaon de François Schuiten, Thomas Gunzig et Jaco Van Dormael, paru en 2019, avait été un franc succès (plus de 220 000 exemplaires vendus) et a relancé la curiosité autour de la licence.
Miser sur la variété est essentiel pour la longévité des héros de Jacobs : « Faire des albums de Blake et Mortimer non-stop est très prenant, très fatigant. Il faut compter deux ans par tome ! Notre chance, c'est que Blake et Mortimer est un univers très riche avec beaucoup de portes d'entrée. »
Le chantier des albums à venir le prouve. « Le prochain se passera sur l'île de Man. C'est une nouvelle collaboration entre Peter van Dongen et Teun Berserik [après La Vallée des Immortels]. Il est à moitié terminé. » Antoine Aubin a aussi un album sur le feu. Mais comme toujours avec le méticuleux dessinateur de La Malédiction des trente deniers (2010), L'Onde Septimus (2013) et Huit Heures à Berlin (2022), impossible de savoir quand il sera terminé.
Nouveau dessinateur
Yves Schlirf promet aussi une histoire « assez saugrenue » en Jamaïque, ancienne colonie anglaise. Peter van Dongen devrait se charger de cet album inspiré par un épisode de la série The Crown. Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, déjà scénaristes de L'Art de la guerre (2023), avec Floc'h au dessin, sont « à l'écriture active » d'un nouvel album. Ils se sont associés à un nouveau dessinateur dont l'identité n'a pas encore été dévoilée pour le moment.
L'arrivée d'une nouvelle équipe à la tête de la Fondation Jacobs, après le scandale de la disparition de centaines d'originaux, favorise enfin certaines publications. « La Fondation nous empêchait certains accès ou monnayait des documents très cher, rappelle Yves Schlirf. On a eu enfin accès à de nouveaux documents. Cela nous a donné envie de les montrer. » C'est ainsi que paraît Diabolique!, beau-livre consacré à l'histoire mouvementée du Piège diabolique (1962).
Expositions
Mais au-delà des livres, c'est dans les musées que Blake et Mortimer s'apprêtent à vivre leurs prochaines aventures. « Il faut que les gens voient les originaux !, conclut Yves Schlirf. Les planches sont exceptionnelles. Il faut voir les croquis, les calques, les mises en couleur ! » Dont acte : le Musée des Arts Asiatiques de Nice organisera une exposition consacrée aux 3 formules du Professeur Sato en 2026. L'éditeur promet un « choc ».
Avant cela, il est à noter que la Galerie Collin, dans le VIe arrondissement de Paris, consacre une grande exposition-vente aux originaux de L’Art de la Guerre de Floc’h du 7 au 27 novembre 2025. C'est la première fois en France que les amoureux de Blake et Mortimer et du style « Floc’h » peuvent découvrir les planches de son dernier album où l’art graphique de l’artiste se déploie sur de très grands formats (77 x 58 cm), une expérience immersive et pop déjà admirée à Bruxelles où l’artiste avait présenté une sélection de ses planches.
Blake et Mortimer, le mystère du trésor disparu dimanche 16 novembre sur France 2

