Science en péril. À un moment où la recherche est mise à mal et où une guerre contre la science est menée aux États-Unis, cet ouvrage de Bernard Lahire apparaît comme essentiel, dans ce qu'il nous dit du savoir, de notre rapport à lui et de la manière de le transmettre. Ce sociologue possède la notoriété nécessaire pour tirer à bon escient la sonnette d'alarme. Ses travaux sont reconnus et ses publications ont fait date. Parmi elles, citons Ceci n'est pas qu'un tableau (La Découverte, 2015), L'interprétation sociologique des rêves (La Découverte, 2018) ou Les structures fondamentales des sociétés humaines (La Découverte, 2023), qui a dépassé les 13 000 exemplaires GfK, fait assez rare pour un ouvrage de sciences humaines.

Bernard Lahire a placé son texte d'intervention sous les auspices, entre autres, de Marie Curie, d'Einstein, du mathématicien Alexandre Grothendieck et de l'historien Marc Bloch. Dans leur carrière, tous ont rappelé l'importance de l'imagination dans la découverte. Sans la rêverie, sans le temps pris à ne rien faire, sans accepter même de nous tromper, nous serions bien plus ignorants. Tout simplement parce que la science ne dit pas le vrai mais doit en imaginer les explications.

Au passage, il effleure un problème qui nécessiterait à lui seul un autre volume de la collection : celui de l'intelligence artificielle. Si elle trouble le monde de l'édition, elle chamboule encore plus celui de la recherche, et, à travers elle, la conception même du savoir. Aujourd'hui, de nombreuses réponses nous sont fournies par cet outil. Alors pourquoi s'épuiser à des recherches longues, fastidieuses et pas toujours reconnues alors qu'en quelques clics une solution ou plutôt une approche de solution nous est instantanément proposée ? « Si on veut continuer à parler d'intelligence, il doit être clair que celle-ci dépend assez largement de l'environnement et des types de problèmes qu'il impose de résoudre, et qu'il s'agit d'une réalité bien plus collective qu'individuelle. » Dans ce livre dont le titre, Savoir ou périr, fait écho à la devise des sapeurs-pompiers « sauver ou périr », et alors que le savoir est coincé entre l'infobésité et les infox, Bernard Lahire martèle l'urgence d'un rappel précieux non pas à l'ordre, mais à la raison.