Pourquoi Le siècle de Baudelaire ? Parce que c’est une époque entière qui est placée sous ses auspices, avec ses héritiers : Valéry, Laforgue, Mallarmé. La clé de cette époque, Yves Bonnefoy la livre dès l’entrée de son essai : c’est la disparition du sentiment religieux, qu’en dernier recours il revient aux poètes de combler. Si la transcendance n’est plus assurée par la religion, le poète va devoir la chercher dans son existence, dans son quotidien, et la "ressaisir". Le siècle, c’est avant tout l’espace séculier, que la poésie se doit de réinvestir, de réorganiser, via l’idéal et le spleen pour Baudelaire, la beauté et le néant pour Mallarmé.
Or, à cet état de choses inédit dans l’histoire de la poésie européenne - et Bonnefoy remonte jusqu’au courant platonicien - correspond un espace neuf, celui de la ville, et c’est en lui, dans sa réalité concrète de rues, de passants et d’âtres qui fument, que Baudelaire va chercher le point de rencontre entre universel et particulier, ce point qui, selon l’auteur, fait l’exacte différence entre littérature et poésie. Le siècle de Baudelaire, c’est celui du Paris qui se transforme, ce Paris spleenétique des poèmes en prose, le terreau des Fleurs du mal.
Ce qu’enfin donne à voir Bonnefoy, c’est le travail sur le langage qui est au cœur de la mise en correspondance poétique de l’infini et du fini. Des différentes facettes de cet essai émerge la vision de l’homme qui structure Les fleurs du mal ; on comprend peu à peu comment le poète fait descendre parmi les mortels le sentiment d’infini. C’est aussi ce que Mallarmé recherche, d’une façon analogue, dans la musique - l’harmonie pure, qui seule résiste au néant. Le siècle de Baudelaire, c’est l’espace d’un projet nouveau pour la poésie, celui de redonner à l’homme, en dehors du mythe, une place dans l’univers. Fanny Taillandier