Sœurs d'exil. L'indésirable est un double portrait composé en miroir et reflétant le parcours de deux femmes irakiennes nées à Bagdad qui se rencontrent à Paris. Lorsque Taj et Widiane se croisent pour la première fois à l'entrée de l'Institut du monde arabe, elles reconnaissent leur accent commun et, comme « une femme à la mer qui agrippe sa planche de salut », Widiane saisit le poignet de Taj. « Leur amitié est à la frontière entre l'affinité et l'hostilité. Comme deux épouses d'un même fantôme. »
Taj Al-Moulouk est une femme âgée de 90 ans, qui semble avoir connu de multiples vies. Journaliste politique et littéraire puis espionne, elle a revêtu de nombreux noms et connu de grands personnages de son temps. « Partout, on lui prête la qualité d'étrangère. » Intrépide et curieuse, elle est devenue libre et indépendante. Son panache l'a menée vers les hautes sphères de la société irakienne et du monde arabe, et vers des relations amoureuses elles aussi multiples et intenses. D'abord proche du pouvoir, elle a bien vite rejoint la foule de manifestants et est tombée amoureuse d'un Palestinien. Et épousera la cause de son pays.
Widiane, elle, est plus jeune, d'au moins une génération. Elle n'a pas vécu le même Irak, ni le même destin. Timide et réservée, violoniste prodige, elle a été torturée par le pouvoir en place, son tympan percé par un son assourdissant, ce qui l'a privée de son sens le plus précieux : l'ouïe. Elle avait déjà perdu ses empreintes digitales en posant ses mains sur des plaques de cuisson. Elle allait se marier avec le seul homme qu'elle a connu mais qui ne l'a jamais rendue heureuse. En discutant, les deux femmes ravivent leurs souvenirs et se permettent mutuellement de revenir sur leurs terres d'origine. « Deux pôles. Le négatif et le positif. Nous vivons ici, mais nos pensées n'en ont cure et nous ramènent de force là-bas. Je lui cite ce proverbe de chez nous : "Même en train de crever, le coq garde un œil sur son tas de fumier." »
La journaliste et écrivaine Inaam Kachachi déroule une intrigue passionnante qui retrace l'histoire du monde arabe des quatre-vingts dernières années, des années 1940 à aujourd'hui, en passant notamment par le traité de Portsmouth (1948). En entremêlant les récits d'événements politiques et les réminiscences d'épisodes intimes, elle embrasse les questions de l'exil, de la guerre, du pouvoir, des dominations mais aussi de l'amour, de l'amitié et de la résistance. L'autrice déplie ainsi les strates de son récit polyphonique dans une belle mise en abîme parachevée en excipit. L'indésirable, c'est aussi, en creux, une histoire des féminismes et des luttes entreprises par les femmes pour tendre vers l'indépendance et la liberté. Or celles-ci ont un prix et beaucoup de femmes y laissent encore, pas uniquement leurs plumes, mais leurs corps et leur vie.
L'indésirable
Gallimard
Traduit de l'arabe (Irak) par Marianne Babut
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25 € ; 368 p.
ISBN: 9782072990755