On a plaisir à écouter Roger Grenier égrener les souvenirs. Brosser d’une plume limpide le portrait des êtres marquants qu’il a eu la chance de croiser. Dans Instantanés (Gallimard, 2007), il parlait déjà de Dominique Aury, Panaït Istrati, Romain Gary ou James Hadley Chase avec générosité et acuité. Le deuxième volet de cette galerie prestigieuse est tout aussi savoureux.
On y entre avec Mario Avati, le graveur "qui a fait revivre la matière noire et l’a portée à la perfection". Puis s’annonce Gaston Bachelard, rencontré à la Sorbonne, "l’homme le plus accessible du monde" dont il aime les livres, la pensée et la force poétique. Un professeur à l’accent champenois dont il suit les cours au printemps 1944, avec le projet d’un diplôme sur "le problème du temps dans la poétique de Baudelaire".
Le poète Claude Roy, déjà présent dans le précédent Instantanés, était son voisin de bureau chez Gallimard, rue Sébastien-Bottin. Ici, on peut l’entendre crier alors qu’il téléphone au sourd Balthus avec qui il partage le goût des chats, de la Chine, de Lewis Carroll et de l’esprit d’enfance. On se réjouira d’entendre Grenier rendre hommage à Hector Bianciotti, natif de la province de Cordoba en Argentine devenu un écrivain français. "Bianciotti, c’est deux continents, plusieurs vies et les harmoniques d’une voix très riche", note-t-il avec justesse.
Voici le passeur Roger Caillois, marqué par ses séjours dans l’hémisphère Sud, qui fit tant pour la littérature latino-américaine. Et Louis Guilloux qui se dérobe devant les questions de Bernard Pivot sur le plateau d’"Apostrophes", refusait de parler de son voyage en URSS avec Gide et ne manquait pas d’humour. Valery Larbaud, "un écrivain admirable et un encore plus admirable fou de littérature". Ou encore Jean-Bertrand Pontalis, mort le jour de son anniversaire, pour qui le rêve était étroitement lié à la nostalgie. Guide remarquable, Roger Grenier passe de l’un à l’autre avec une identique intelligence de regard et d’analyse.
Al. F.