Arnaque aux sentiments. À l'automne 2017, Murielle s'inscrit sur Meetic dans l'espoir de rompre sa solitude. À 57 ans, elle est veuve depuis deux ans, et propriétaire d'une villa dans le massif provençal. « Tu es encore belle, maman, tu devrais trouver quelqu'un » lui suggèrent ses deux filles. Après quelques flirts sans lendemain, Murielle tombe sur le profil de Charles Leroux, un quinquagénaire au regard « bleu banquise » ayant fait fortune dans le numérique au début des années 2000. Avec lui, Murielle a le sentiment « d'avoir rencontré quelqu'un de différent ». Charles espère quant à lui que la confiance s'installera entre eux : « c'est la base de toute relation amoureuse » argue-t-il. Murielle est sous le charme, bientôt dépendante des messages plein de tendresse et de promesses dont son amant virtuel l'abreuve au quotidien. Au point de ne pas prêter attention aux signaux d'alerte qui se multiplient. « D'abord, les attentions et les mots doux. Puis les problèmes et les silences. Enfin, les reproches et les injures. » Le mode opératoire obéit à une logique immuable.

Au moment de se plonger dans l'historique des échanges entre Murielle et celui qu'elle croit être Charles Leroux, Alexandre Kauffmann a déjà réalisé, pour le journal Le Monde, une enquête sur les escroqueries sentimentales. La captive en développe les conclusions au contact de victimes, toujours plus nombreuses, de ce type d'escroquerie, comme Murielle, comme le véritable Charles Leroux. Un homme dont l'identité a été usurpée par des « brouteurs », ces escrocs séduisant leurs cibles sur Internet pour leur soutirer de l'argent, parfois l'essentiel de leurs économies. Pour « sauver ses fantasmes », Murielle vide son compte en banque, se brouille avec sa famille et refuse de s'avouer victime d'une escroquerie, aussi évidente semble-t-elle. « Il n'y a rien de plus précieux en ce monde que le sentiment d'exister pour quelqu'un », résume Alexandre Kauffmann en écho à la détresse de cette femme que nous pourrions tous connaître, sinon incarner. De Paris à Abidjan, Alexandre Kauffmann met à jour les rouages psychologiques, sociétaux, historiques parfois, d'un système arnaquant plusieurs milliers de personnes en France chaque année. Un système dont nous avons l'intime et terrifiante conviction, une fois ce livre refermé, de pouvoir à notre tour devenir captif.