On ne s’intéresse pas aux barricades par hasard. Pour Léa Tourret, c’était à Istanbul, en 2013, lors du mouvement pour protéger le parc Gezi des promoteurs. Sur le terrain, cette jeune femme, formée à la philosophie et à la sociologie à la Sorbonne, prend conscience de cet amas hétéroclite qui tout à la fois protège et désigne. La barricade est censée mettre à l’abri les opposants et excite comme un chiffon rouge le pouvoir en place qui redouble de violence à l’endroit des contestataires.
Cette anthropologue des objets techniques s’est donc saisie de cet objet révolutionnaire, comme l’avait fait Eric Hazan (Autrement, 2013), pour comprendre ce qu’il désigne aujourd’hui. "Une enquête historique sur ce qu’ont été les barricades est aussi en quelque sorte une entreprise politique : il s’agit de rendre compte des petits récits que notre manière linéaire de considérer l’histoire a parfois oubliés, volontairement ou non."
En faisant plus appel à Foucault et à Deleuze qu’aux historiens, elle montre comment cette forme désuète fait sens dans la mise en scène de la désobéissance publique. Comme une entrave dans une ville où tout doit circuler, la barricade vient bloquer un flux. Elle perturbe le corps social.
Des barricades physiques à celles qui sont dans nos têtes, Léa Tourret examine ces lieux éphémères de solidarité. Publiée par une jeune maison, cette réflexion accompagnée par le travail de la plasticienne Eärendil Nubigena a toutes les qualités pour sortir du rayon essais et gagner celui des curiosités à offrir. L. L.