Hegel dégelé. Tres faciunt collegium : « trois personnes font un collège », ou trois essais font un livre. Mais quand les essais en question sont signés Theodor W. Adorno (1903-1969), on est sûr que la densité sera au rendez-vous. Et si l'on ajoute que le sujet est la philosophie de Hegel (1770-1831), on peut s'attendre à de la haute altitude. Et pourtant, ce volume publié en 1957, revu en 1963 et traduit en 1979 chez Payot, se distingue par sa clarté, pour peu qu'on prenne le temps nécessaire à sa lecture. « Il n'y a sans doute aujourd'hui aucune réflexion théorique de quelque portée pouvant rendre compte de l'expérience de la conscience et non seulement de celle de la conscience, mais de l'expérience concrète des hommes, qui ne soit nourrie de philosophie hégélienne. » C'est un antihégélien, à l'origine, qui le dit ! Mais la puissance de la Phénoménologie de l'esprit (1807) est indubitable et Adorno se propose d'explorer la profondeur des autres grands textes du maître de Stuttgart qui a tant influencé les penseurs du XX^e siècle. « Son système n'est pas plus une organisation centrale qui coifferait les sciences qu'un conglomérat d'observations géniales. » Elles concernent notamment la dialectique, le religieux comme « produit du travail humain » et le sens de l'histoire universelle. Principal animateur avec Max Horkheimer de l'École de Francfort et de la théorie critique qui envisage l'idéologie comme obstacle à la liberté, Adorno s'interroge sur la manière dont Hegel fait de la philosophie et sur ce qu'elle peut apporter après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, dans une Allemagne fracturée et en pleine mutation. « Il a compris que la philosophie ne doit pas chercher son objet dans les concepts généraux suprêmes, en raison de leur éternité et de leur intemporalité prétendues, concepts qui rougissent du même coup de leur propre généralité conceptuelle. » Adorno s'emploie à une tentative d'explication « contre la prétendue non-clarté des textes hégéliens ». Mais l'ensemble, qui permet de comprendre ce qu'est un vrai travail philosophique bien au-delà des commentaires sur l'actualité du monde, est plutôt réservé à ceux qui veulent une introduction subjective à une démarche résignée qui refuse néanmoins de « renoncer à la connaissance de la vérité ».