Allées noires de monde, salles de conférences pleines à craquer, affluence maximale dans la librairie éphémère… malgré un contexte budgétaire tendu et des travaux à venir en 2026-2027 qui réduiront temporairement la capacité d’accueil de la Cité des congrès, les Utopiales de Nantes, dont la 26e édition se déroulait du 30 octobre au 2 novembre, ont de nouveau confirmé leur rôle central dans le paysage de la science-fiction et des littératures de l’imaginaire.
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À l'heure du clap de fin, dans la soirée de ce dimanche 2 novembre, l’organisation du premier festival de science-fiction d’Europe annonce une fréquentation de 150 000 personnes en quatre jours, tout près du record de l'an dernier (153 000 visiteurs), l'édition 2024 ayant bénéficié d'une « soirée d'inauguration en plus des quatre jours », nous précise l'organisation.
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« On draine une population nationale, pas seulement nantaise. Les Utopiales sont le cœur battant de la SF », se réjouit Nicolas Martin, membre du comité littéraire avec Floriane Soulas, Yann Olivier et Eva Sinanian. Le quatuor, qui a succédé l’an dernier à la directrice artistique Jeanne-A Debats, a été reconduit jusqu’en 2027, élaborant cette année une programmation autour de la thématique « Singularités ».
Un choix qui s’inscrit dans la continuité du travail mené avec le président de l’association du festival, l’astrophysicien Roland Lehoucq. Parmi les temps forts de cette édition, 14 expositions dont celle consacrée à Stéphanie Hans, autrice de l’affiche 2025, mais aussi à Jorg de Vos ou Jozef Jankovič, 118 rendez-vous littéraires, scientifiques et artistiques, 56 séances de cinéma, et plusieurs dizaines d'auteurs venus rencontrer un public conquis d’avance, dont Enki Bilal (invité pour les 25 ans de la manifestation en tant qu’artiste ayant signé sa première affiche), Christelle Dabos, Mathieu Bablet, Étienne Klein, Romain Benassaya, Morgane Caussarieu et, du côté des étrangers, les Américains Rivers Solomon, Brian Evenson, Jeff VanDerMeer, le Gallois Alastair Reynolds…
Espace jeunesse doublé et live Twitch
Quelques nouveautés ont aussi enrichi cette édition des Utopiales : place accrue accordée au young adult, doublement de l’espace jeunesse, augmentation du nombre des « ateliers du futur » (rencontres et jeux où participe le public), diffusion sur Twitch pour élargir l’audience… et toujours cette multiplicité des approches avec des espaces alloués au jeu vidéo, aux jeux de société ou à la découverte scientifique, véritable marque de fabrique du rendez-vous nantais. Autre innovation, des animations ayant recours à l’IA ont été proposées, suscitant des réactions contrastées auprès des spectateurs.
Au-delà de sa dimension grand public, l’événement est aussi un rendez-vous incontournable pour les éditeurs spécialisés. « On veut en faire un rendez-vous professionnel off, avec des agents et d’autres éditeurs, pour cristalliser un collectif », ambitionne Olivier Girard, des éditions du Bélial’. Au Diable Vauvert, la fondatrice Marion Mazauric a pour habitude de caler les dates de ses parutions phares sur celles des Utopiales. « Le festival est un accélérateur d’imaginaire et d’intelligence où l’on rencontre la profession, les confrères, les auteurs, et où l’on sème des graines pour l’avenir », confie-t-elle.
Un constat partagé par Mireille Rivalland, fondatrice de l’Atalante et régionale de l’étape. L’éditrice-libraire, qui a vu son auteur Philippe Battaglia récompensé du prix Utopiales du roman pour La Dernière tentation de Judas, a par ailleurs reçu un prix extraordinaire des Utopiales pour l’ensemble de sa carrière. Dès le début de ces « Utos », elle a observé les bons niveaux de vente de la librairie éphémère du festival.
Tenue par le collectif Les librairies complices, celle-ci a accueilli de nombreuses séances de dédicaces et repose sur un « modèle vertueux dont nombre de manifestations pourraient s’inspirer ». Présent également, le directeur de Rivages Imaginaire Valentin Baillehache voit dans les Utopiales un « moment unique d’échange ». « Ici il n’y a pas d’entre-soi, les auteurs sont au contact du public et de scientifiques, c’est extrêmement fécond », poursuit-il.
De son côté, la directrice de la collection « Pocket Imaginaire » Charlotte Volper se montre tout aussi enthousiaste. Rencontrée aux côtés de Florence Bury, éditrice chez Critic dont elle a publié plusieurs titres en poche, elle passe régulièrement prendre le pouls de la librairie éphémère où « des titres du fonds habituellement peu visibles se vendent toujours très bien. »
Presque 50 000 euros en moins de la Région
Cette année pourtant, les Utopiales ont été confrontées à un contexte de tensions budgétaires. En cause, l’arrêt de la subvention de 47 500 euros habituellement versée par le conseil régional des Pays de la Loire. Celle-ci représentait 15 % des 320 000 euros du budget dédié à la programmation (constitution du plateau artistique, montage des expositions…).
Le budget global de l’événement, structurellement déficitaire, dépasse quant à lui à ce jour 1,2 million d’euros. Le premier financeur reste la Cité des congrès elle-même (environ 180 000 euros), devant la Ville et la Métropole de Nantes (135 000 euros). Le Centre national du livre (40 000 euros), la Sofia (20 000 euros) et la fondation Michalski (environ 12 000 euros) figurent également parmi les soutiens importants. De son côté, la billetterie a représenté près de 220 000 euros en 2024 et devrait en générer autour de 250 000 cette année d’après les estimations, en raison de l’augmentation du prix des tickets d’entrée au tarif plein (les tarifs réduits restant inchangés).
Voilure réduite
Ce relèvement tarifaire est une conséquence immédiate de l’arrêt de la subvention de la Région. La décision de la présidente du conseil régional des Pays de la Loire Christelle Morançais de supprimer le subside, annoncée en fin d’année dernière dans le cadre d’un vaste plan de coupes dans les dépenses culturelles, a été d’autant plus mal vécue que l’organisation des Utopiales avait été maintenue dans l’ignorance jusqu’au dernier moment. « Des élus du conseil régional des Pays de la Loire sont venus nous dire “à l’année prochaine” à la fin de l’édition 2024 alors que j’imagine qu’ils savaient déjà qu’il y aurait des coupes drastiques », se remémore Axelle Roze, directrice de l’événement.
Confrontées à cet environnement budgétaire contraint, les Utopiales ont réduit le nombre d’intervenants et de tables rondes, la durée du festival (d’une demi-journée)… et explorent de nouvelles pistes pour trouver des financements. Y compris recourir à des partenaires privés ? Axelle Roze ne l’exclut pas, mais « cela dépendra du sponsor ».
Les travaux à la Cité des congrès, prévus pour deux ans, obligeront quoi qu’il en soit les Utopiales à adapter leur format. Le grand auditorium ainsi que le hall d’entrée habituel seront fermés, et une partie de la programmation pourrait migrer vers le Lieu unique, déjà partenaire. « Nous explorons toutes les solutions possibles pour maintenir la jauge actuelle », rassure Axelle Roze.
Déjà cette année, les capacités d’accueil ont été mises à rude épreuve : victime de son succès, la manifestation a fermé la billetterie samedi 1er novembre pour éviter un trop-plein de visiteurs, parfois recalés à l’entrée des auditoriums. La circulation n’est pas toujours facile dans les allées noires de monde de la Cité des congrès. Pour Nicolas Martin, la vocation du festival demeure inchangée : « Face à l’offensive réactionnaire, les espaces de l’imaginaire permettent de se retrouver, de se compter. On propose pacifiquement, amicalement, des solutions pour un monde meilleur », conclut-il.





