Roman/Canada 27 février Virginie DeChamplain

« Je suis les femmes devant moi. Je vais à leur recherche. A leur rencontre. Ma grand-mère aventureuse ma mère vagabonde. Mes insoumises. Je me sauve dans tous les sens. » V., la narratrice des Falaises, le premier roman tempétueux de la québécoise Virginie DeChamplain, raconte une quête intérieure rageuse, sur les traces de femmes en fuite. Des criques de la Gaspésie aux plages de sable noir d'Islande, d'une maison natale à l'embouchure du Saint-Laurent au foyer d'un couple de bergers isolés sur une lande, de bout du monde en bout du monde, de falaises en falaises, c'est une longue histoire de rendez-vous manqués, de départs nécessaires et de retours trop longtemps différés. De désir vital de fuguer, de goût pour la sauvagerie radicale, hérités de mère en fille puis en petite-fille. De lieux originaires que l'on fuit mais où l'on finit par revenir pour se retrouver.

Quand la narratrice, graphiste à Montréal dans la vingtaine, revient chez elle, au bout de la côte nord de la péninsule de Gaspésie, une « fin de terre », il est trop tard : sa mère vient de se noyer dans le Saint-Laurent, près de la maison perchée sur des rochers au-dessus du fleuve où elle habitait seule, à l'écart d'un village. Et sa fille ne se souvient pas de la dernière fois où elle lui a parlé... Un matelas installé au milieu du salon, fenêtres ouvertes, comme sur une île, elle entame le tri des souvenirs incompréhensibles et hantés. Elle rêve de sa « mère en sirène », en « femme-fleuve ».

Voici venu le temps de faire le chemin à l'envers, de « crier par en dedans » en se remémorant les odeurs des pays où la mère les a emmenées, sa jeune sœur et elle, tout au long de leur enfance instable. Retour sur cette mère vacillante, ses crises violentes, sa folie « épeurante ». La jeune femme entreprend aussi de lire le journal manuscrit de sa grand-mère originaire d'Islande, une femme de pêcheur en haute mer que sa petite fille n'a pas connu, morte quelques mois avant sa naissance en 1992 d'une crise cardiaque un soir de grande marée sur « sa chaise berçante sur la galerie devant le fleuve ». Dans ces cahiers entamés en 1968, elle décrit elle aussi l'appel du large qui l'habite. « Les femmes de ma vie. On se succède sans se voir, comme des ombres qui courent devant les miroirs, sacrent des coups de poing dedans et continuent leur route pour voir le monde. »

Traversé aussi par les présences fortes de la sœur (Ana la cadette), de la tante (Marie, le soutien) et de l'amante (Chloé et « ses cheveux comme un automne qui brûle », qui tient le bar du village), ce roman embrasse les tourments de ces héroïnes valeureuses et « détraquées », ivres d'horizons ouverts et portées par les vents. Comme elles, la langue de Virginie DeChamplain est habitée d'un grand souffle. « J'attends les grandes marées, avec leurs bourrasques qui brassent le corps au grand complet. »

Virginie DeChamplain
Les falaises
La Peuplade
Tirage: NC
Prix: 18 euros ; 240 p.
ISBN: 978-2-924898-51-2
13.02 2020

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