Il ne suffit pas de s'établir en banlieue pour s'adresser à ses jeunes habitants, et ça, Aouicha Traoré en sait quelque chose. La fondatrice des éditions Anka Élévation, une maison valorisant la représentation de personnes afro- descendantes, a lancé le 13 avril 2024 un salon du livre jeunesse des Banlieusards, avec sa collègue entrepreneuse, Fatoumata M'Binté. Un événement qui a réuni, dans le centre culturel Georges Brassens de la ville de Vigneux, avec le concours de la Ville, près de 500 participants.
Parmi les exposants, on retrouvait des éditeurs indépendants, issus de la région parisienne, du nord et du sud de la France, et des auteurs publiés ou auto-édités. « Les retours des maisons et des auteurs ont été très positifs, considère Aouicha Traoré. Tous ont pu vendre leurs ouvrages de manière significative et échanger longuement avec un public qui s'est dit surpris en découvrant la pluralité des représentations dans les albums ».
C'est bel et bien cette thématique qui est au cœur de la démarche des deux co-organisatrices, également fondatrices de l'association Ode à la littérature visant à faire valoir la littérature, la poésie et l'art de l'éloquence auprès des enfants. « On dit souvent que les jeunes lecteurs se détournent du livre ou entretiennent un rapport compliqué à la littérature, mais beaucoup ne se sentent pas concernés par le contenu des ouvrages puisqu'ils n'y sont pas incarnés, rappelle Aouicha Traoré. Notre idée était aussi de lutter contre les préjugés qui soutiennent, entre autres, que les banlieusards ne lisent pas. Un vieux dicton disait "si tu veux cacher quelque chose à un Noir, mets-le dans un livre" et la société s'est imprégnée de ces stéréotypes-là. »
Sortir de la capitale pour mieux atteindre le public de banlieue
À cela, il faut ajouter un manque d'accessibilité géographique, que l'éditrice a pu constater lors de précédentes tentatives au retentissement modéré, comme des librairies éphémères à Paris où le public pouvait rencontrer des éditeurs indépendants : « La plupart des grandes manifestations littéraires se tiennent dans la capitale, alors que nous sommes plusieurs acteurs à travailler, en périphérie, à la visibilité des événements de banlieue. » D'où la nécessité de délocaliser pour, sur le long terme, toucher le plus de banlieues possibles. Pour les prochaines éditions, Aouicha Traoré et Fatoumata M'Binté souhaitent changer de localité et de département.
Concernant le salon de Montreuil, la fondatrice porte un regard contrasté : « C'est une très belle manifestation, un concentré de jeunesse mais je regrette son manque d'accessibilité. » D'abord du côté des éditeurs, puisque le coût d'un stand exclut automatiquement certains acteurs. Mais aussi du côté des publics : « Oui, Montreuil est en banlieue, mais est-ce que c'est aussi le cas dans l'imaginaire collectif ? Et même si le salon est gratuit, bien desservi, j'ai l'impression que son côté "patrimoine historique", "institution", l'empêche de s'adresser vraiment à tout le monde. »
La seconde édition du Salon du livre jeunesse des Banlieusards se tiendra le 26 avril 2025 à Vigneux, encore. Une cinquantaine d'exposants sont déjà de la partie, à l'instar des éditions belges Ayo, des Suisses d'Invisible éditions, et de la maison guadeloupéenne Nèg Mawon. La manifestation succédera, par ailleurs, à une tournée d'interventions de sensibilisation dans les centres socioculturels, les associations scolaires et les écoles « pour ancrer en profondeur le projet et faire comprendre aux enfants l'importance de la littérature ». L