Comme toute religion, l’islam est traversé de courants divers. Si la foi musulmane s’exprime par des rites stricts - l’islam est souvent défini comme une orthopraxie, la soumission absolue à la pratique religieuse -, elle connaît des lectures fort variées, entraînant des rituels tout aussi singuliers: l’une d’entre elles est le soufisme, un islam mystique, aux cérémonies ésotériques, qui donna naissance à la confrérie des Derviches tourneurs.
C’est à la pensée et à la poésie de la figure majeure du soufisme et de la littérature persane et inspirateur des Derviches tourneurs, Mawlânâ Djalâl ud-Dîn Rûmî (1207-1273), dit Rûmî, que Shems Friedlander a consacré plusieurs œuvres documentaires ou écrites, dont le présent essai: Rûmî, le trésor caché. Pour qui vit dans l’Occident rationaliste, cette prière des derviches, entre danse, incantation (on chante le nom d’Allah ad infinitum) et méditation (la répétition des mots, des pas, des rythmes du tambourin et de la flûte purifie l’esprit), est pour le moins mystérieuse, voire absconse. Elle mène à l’extase. L’extase, ex-stasis, est, rappelons-le, en termes mystiques la sortie de soi-même, de son identité vainement figée, captive de son humaine écorce, afin d’atteindre l’unité divine. L’ivresse du semazen, le danseur, engendrée par les incessantes rondes se mue en oubli de soi, en mort à soi-même, permettant l’union avec le centre du cercle que l’on dessine en dansant et qui n’est nulle part ailleurs qu’en soi. Le centre qui n’est autre que Dieu même. La danse circulaire incite à ce mouvement de l’extérieur illusoire vers l’intérieur originel, la quintessence de l’Etre. Le surplace se révèle alors un faux enlisement dans le réel: "Le voyageur spirituel peut effectuer un grand voyage sans bouger de place." Dans la prière, comme Rûmî, l’on pleure, les paupières se ferment, c’est une autre vérité qui se rend visible à l’âme: l’amour de l’univers. "Lorsque les yeux du cœur sont ouverts, les trésors cachés de Dieu sont révélés." S. J. R.