Un Américain à Paris. Depuis la parution, remarquée, en 2017 chez Gallimard, de La nuit pour adresse, premier livre de Maud Simonnot, qui se voulait une enquête biographique sur Robert McAlmon, on attendait la traduction en français des mémoires du personnage en question, une espèce de perdant magnifique, qui fut riche et connu, sinon célèbre, mais qui a fini par passer à côté de tout et est mort dans l'oubli et la misère en Californie en 1956.
Achevés en France en 1934, parus aux États-Unis en 1938 sous le titre Being Geniuses Together, ces mémoires nous laissent un peu sur notre faim. D'une manière complètement éclatée, sans dates, McAlmon enchaîne les pérégrinations en Europe, les collections d'anecdotes et de portraits, certes en général savoureux : par exemple, à propos de T.S. Eliot, il parle d'abord de sa « poésie moisie », de sa « mentalité d'employé atrabilaire », avant, l'ayant rencontré, de changer d'avis, de le trouver « très aimable », avec du « charme », même. Dans sa frivolité, sa méchanceté, son brio, McAlmon, homosexuel proclamé, fait un peu penser à Pierre Herbart. Des gens qui avaient tout en main, ont raté leur destin, laissant derrière eux une œuvre mineure (romans, nouvelles, poèmes...) que personne ne lit plus.
Né à Clifton, Kansas, en 1895, Robert McAlmon était le fils d'un pasteur itinérant irlandais. La famille, modeste, comptait dix enfants. Bien vite, le garçon s'affranchit, va à l'université, et, surtout, part à New York, Greenwich Village, en 1920, où il commence à fréquenter l'intelligentsia. Il crée la revue d'avant-garde Contact avec William Carlos Williams, où ils publieront notamment Ezra Pound. Après un bref passage à Londres, qu'il déteste mais où il trouve le moyen d'épouser la poétesse Bryher, alias Annie Winifred Ellerman, fils du richissime parvenu Sir John Ellerman − mariage de convenance, les conjoints étant homosexuels −, il s'installe à Paris, en 1921. Ce sera là sa période de gloire, entrecoupée de voyages et de séjours, surtout en Espagne. En 1940, il rentre définitivement en Amérique, pauvre (il avait divorcé en 1927) et anonyme.
Proche de la Shakespeare and Company de Sylvia Beach, il crée en 1922, avec l'appui de l'imprimeur Maurice Darantière, Contact Publishing Company, associée ensuite à Three Mountains Press, où ils publient tout le gotha anglo-américain de Paris, avant même que ses membres ne soient connus et reconnus chez eux : Mina Loy, William Carlos Williams, Ford Madox Ford, puis, dans une anthologie, Hemingway, Pound, Joyce, qu'il aide à achever et faire éditer Ulysse. En 1923, il est le premier éditeur d'Hemingway, avec Three Stories and Ten Poems, et l'initie à l'art de la corrida. En 1925, il publie également The Making of Americans de Gertrude Stein.
Ses mémoires commencent à Londres et s'achèvent à son retour en France en 1934, après une séquence espagnole : à Majorque, île d'exil d'une nombreuse communauté américaine chassée par le krach de 1929, et à Barcelone, port populaire, dangereux mais vivant et cosmopolite. Le livre se termine en queue de poisson, comme le parcours de son auteur, mort vingt-deux ans après. Sans savoir qu'il serait un jour l'éditeur retrouvé de la génération perdue.
Bande de génies
Séguier
Tirage: 2 200 ex.
Prix: 23,90 € ; 480 p.
ISBN: 9782840499244