Mémoires d'un cosmopolite. Né Adolf Schenk près de Budapest en 1886, dans une famille juive pauvre, il prend pour nom de plume Emil Szittya. Ses multiples périples et séjours dans des capitales européennes lui ont appris plusieurs langues mais il écrira la majorité de son œuvre en allemand, ainsi que quelques ouvrages en français (82 rêves pendant la guerre 1939-1945, réédité par Allary éditions, 2019, Soutine et son temps, réédité par les éditions du Canoë, 2023). Il s'installe dès 1906 à Paris, fréquentant tous les hauts lieux de la bohème artistique, surtout Montparnasse, et rencontrant toute l'avant-garde, notamment Apollinaire et Cendrars dont il fut l'ami − c'est aux éditions des Hommes nouveaux, fondées avec Szittya, que Cendras a publié, fin 1913, son fameux poème La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, interprété graphiquement par Sonia Delaunay. Après quelques errances, Szittya se fixe définitivement à Paris en 1929, écrit des essais sur le Douanier Rousseau, Picasso ou Soutine, qu'il a fréquentés, et prend sa carte au Parti communiste en 1936, reniant les convictions anarchistes de sa jeunesse. Après la guerre, il devient un apparatchik au sein du comité France-URSS, et entame une carrière de peintre inclassable : dans l'œuvre de celui que l'on qualifie de « vagabond de l'avant-garde » se mêlent l'expressionnisme de sa jeunesse et l'abstraction lyrique des années 1950. Ce travail est en passe d'être aujourd'hui redécouvert, comme son auteur.
En 1923, Szittya publiait son Cabinet de curiosités, une ébauche de mémoires qui bascule vers une collection de souvenirs écrits au fil de la plume, sans dates ni logique ni solution de continuité. Un siècle après, Séguier nous en procure une édition en français, abrégée. Ce qui peut se concevoir car, dans ce fouillis, tout n'est pas d'un égal intérêt. Il y a même des erreurs : Szittya fait naître Apollinaire en Normandie, oublie les origines suisses de Frédéric Louis Sauser, alias Blaise Cendrars. Ses morceaux de bravoure concernent Paris et ses bistrots, mais aussi ses « tapineurs », sur lesquels notre homme semble bien renseigné. Et le tout s'achève sur une évocation de la bande à Bonnot, après un portrait plutôt en demi-teinte de Jaurès, qu'il traite d'« opportuniste ». Au final, on n'en sait guère plus sur Szittya lui-même, qui s'esbigne dès les premières pages. Le mystère demeure.
Le cabinet de curiosités. Souvenirs d'une vie de bohème
Séguier
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 20,90 € ; 256 p.
ISBN: 9782840499596