C'est par Leicester que la reine Elisabeth II a officiellement inauguré la semaine dernière le grand tour de Grande-Bretagne qu'elle fera à l'occasion de son jubilé de diamant. Le choix n'était pas anodin. Dans cette ville multiculturelle des Midlands, il n'y aura bientôt plus un seul groupe ethnique majoritaire. En soixante années de règne, la face du royaume aura bien changé. Après Victoria (Flammarion, 2011), l'angliciste Joanny Moulin - on lui doit un Darwin (Autrement, 2009) et Ted Hughes : la terre hantée (Aden, 2007) - se penche sur la vie de l'arrière-arrière-petite-fille. Le sous-titre "Une reine dans l'histoire" vaut avertissement et réserve liminaire. Il ne s'agit pas d'une bio people (Joanny Moulin, professeur de littérature anglaise à Aix-Marseille, a une plume soignée) - ni d'un récit de première main (hormis les intimes et les conseillers, peu ont accès direct au palais de Buckingham). L'auteur a puisé dans des sources anglaises : les historiens (Robert Lacey, Elizabeth Longford, Ben Pimlott) ou encore les mémorialistes ou diaristes plus mondains, comme l'ex-gouvernante de la "Shirley Temple" du Gotha (la future monarque fit la couverture de Time Magazine dès l'âge de 3 ans).
De Winston Churchill à David Cameron, Elisabeth II aura demandé à douze Premiers ministres de former un gouvernement. Cela dit, la monarchie a résisté à bien des crises et par deux fois à un séisme qui l'ébranla jusque dans ses fondations : la mort de la princesse Diana en 1997, épouse malheureuse de l'héritier Charles (le peuple exprima dans un deuil public sans précédent un désir de modernisation de Buckingham qui fleurait la révolution), et l'événement sans lequel la reine ne serait pas reine - l'abdication en 1936 d'Edouard VIII, son oncle pro-allemand, qui fit que le père d'Elisabeth, qui n'était pas destiné à régner, devint roi.
Car ce qu'on lit en creux dans cette biographie est bien l'anatomie de l'Angleterre, par le prisme d'une institution souvent mal comprise de ce côté-ci de la Manche : la monarchie constitutionnelle. En France, on est certes républicain, mais ce qui offusque n'est pas tant l'idée de monarchie que d'un roi qui déléguerait tout son pouvoir exécutif à un parlement démocratiquement élu afin d'en assumer le seul reliquat symbolique. Une tradition respectée par les souverains eux-mêmes. Jacques II qui n'y consentit point s'est vu chasser du trône en 1688. S'ils sont mécontents, les Britanniques changent de roi, pas de régime. Les gouvernements passent, la reine demeure. L'institution monarchique censée incarner la pérennité semble tenir le choc des alternances politiques, même à gauche. Tony Blair n'était pas l'un des moindres thuriféraires du système : lors d'un discours, il avait qualifié Sa Majesté de "best of British", "le meilleur de l'Angleterre".