Libre pensée. On n'attendait pas Pierre-André Taguieff sur ce terrain, celui de l'anarchie, lui qui fut si souvent au cœur de polémiques depuis qu'il fut classé par Daniel Lindenberg dans Le rappel à l'ordre (Seuil, 2002) parmi les « nouveaux réactionnaires ». Bien sûr, le philosophe et historien des idées, ancien directeur de recherche au CNRS, n'a pas viré sa cuti. Mais il propose une vision intéressante de ce courant de pensée. Si l'anarchisme n'est pas pour lui un humanisme, il peut néanmoins s'en rapprocher, dans certains courants. « L'anarchisme fait appel autant à notre imagination créatrice qu'à notre capacité d'examen critique. » C'est donc à cet examen qu'il soumet cette utopie d'une société sans État. Il explore la pensée anarchiste et libertaire, en examinant ses fondements philosophiques depuis Platon, ses implications politiques et son rapport à la liberté humaine.
Deux citations encadrent cet ouvrage, issues de deux auteurs diamétralement opposés. La première est de Clemenceau : « L'homme qui n'a pas été anarchiste à seize ans est un imbécile. Mais c'en est un autre, s'il l'est encore à quarante. » La seconde émane de Bernanos : « Il faut beaucoup d'indisciplinés pour faire un peuple libre. » Entre le bouffeur de curé et le tutoyeur d'anges, l'anarchisme selon Taguieff ne s'appréhende pas sans nuances. C'est d'ailleurs pour répondre à son neveu Philémon qu'il s'est lancé dans ce livre qui relève à la fois du cours et du récit personnel. Du cours, car il donne tous les éléments historiques pour comprendre les origines de l'anarchisme qui a pris forme au xixe siècle. Du récit personnel, car il circule volontiers entre Marx et -Bakounine, de Breton à Brassens, de Debord à Coluche, de Proudhon à Péguy et à son « acratie » (ou forme de gouvernement sans pouvoir). Il montre la multiplicité des anarchismes et fait redécouvrir des auteurs méconnus comme Jean-Marie Guyau (1854-1888).
Cette liberté de pensée oscille entre révolte et critique de la modernité. Elle passe aussi pour Taguieff par une esthétisation du goût de la révolte et du désir de liberté avec le principal déboire d'une libération absolue qui aboutit pour lui « à une désocialisation anxiogène ». Reste à savoir où placer le curseur sur l'échelle du désir sans risquer le chaos. D'où l'emploi du mot « fanatisme » qui ne résume pas ce rêve émancipateur.
L'anarchisme ou le fanatisme de la liberté
Éditions de l'Observatoire
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 € ; 480 p.
ISBN: 9791032933688
