Génie souterrain. Si le dessous ne reflète pas forcément le dessus, il en révèle bien des inquiétudes, notamment en matière de transports. Ainsi, Louis Pagèze publie en 1894 à la Librairie socialiste une plaquette intitulée La ruine de Paris par le métropolitain. Le militant et fabricant de bandages orthopédiques n'a pas le nez creux. Six ans plus tard, à l'occasion de l'Exposition universelle, le 19 juillet 1900, quelques intrépides s'engouffrent sous terre et partent du rond-point des -Champs-Élysées pour rallier Vincennes en moins d'une demi-heure, soit en deux fois moins de temps qu'en tramway à cheval. Depuis, la passion métropolitaine ne s'est pas démentie. Camille Delattre fait même du métro un « objet de désir » dans ce petit livre malin qui voyage allègrement dans les réseaux du monde et dans l'histoire politique et sociale des cités modernes. Car avoir son métro en bas, c'est être en haut d'un classement. « Sans le métro, Londres, Istanbul, Chicago, Glasgow, Budapest, Paris, Berlin, pour ne citer que les pionnières, n'auraient probablement pas bénéficié aussi vite de la croissance qu'on leur connaît. »
Éditrice et autrice, Capucine Delattre, « métropolitainologue » avisée, a été remarquée à 20 ans pour son premier roman, Les déviantes (Belfond, 2020). Après deux autres fictions publiées à La Ville Brûle (Un monde plus sale que moi en 2023 et De son sang en 2025), elle montre son aisance dans l'essai, avec ce qu'il faut de documentation pour étayer le texte, sans plus, pour ne pas tomber dans le travail universitaire. D'où ce « livre du métro » comme elle l'appelle, vif et malicieux, parfois inutilement alourdi par l'usage de l'écriture inclusive. Mais on la suit tout de même dans son enthousiasme communicatif, sur la ligne fantôme C du métro romain qui tombe sur un vestige archéologique à chaque reprise de travaux, ou sur des lignes bien plus politiques à Moscou ou à Pékin.
Avec un sens de la poésie et du mystère, même si le temps du poinçonneur des Lilas est bien fini, elle a voulu rompre avec l'image de ces stations qui représenteraient le calvaire de la modernité. « Partout en France et dans le monde, le métro est trop cher, congestionné, étouffant, enfermant, symbole de crispations sociales, de restriction néolibérale, d'engorgement urbain, de prison mentale et temporelle. » Pour elle, le métro, c'est autre chose. Une mythologie, avec ses peurs et ses émerveillements transmis par la littérature et le cinéma, ses agressions et ses tracas du quotidien certes, mais aussi ses rencontres au détour d'un couloir ou sur un quai.
Pour l'anecdote, Capucine Delattre a poussé le raffinement en utilisant pour les numéros, titres de chapitre et intertitres de son ouvrage la police de caractères Parisine, créée par Jean François Porchez en 1996 pour la RATP. Enfin, si vous vous demandez pourquoi ce titre, Vingt minutes sous la terre, sachez que, selon des études savantes, vingt minutes c'est le temps de trajet moyen. Nul doute que, comme elle, vous en passerez davantage après la lecture de ce guide original.
Vingt minutes sous la terre
la Ville brûle
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22 € ; 304 p.
ISBN: 9782360122424
