Chaque rentrée littéraire réserve des surprises, comme le succès fulgurant d’En finir avec Eddy Bellegueule, premier roman d’un jeune surdoué de 21 ans, Edouard Louis. Publié le 2 janvier au Seuil avec un premier tirage de 4 500 exemplaires, plébiscité par toute la presse et par les lecteurs, il a été réimprimé cinq fois et devrait atteindre un tirage total de 35 000 exemplaires en cette fin de semaine.
Pourtant En finir avec Eddy Bellegueule est une histoire sombre. Edouard Louis fait le récit autobiographique d’une enfance terrible, dans une famille très pauvre de Picardie, qui fréquente Les Restos du cœur (mais cela ne doit pas se savoir), avec un père alcoolique, obèse, chômeur parce que l’usine l’a démoli, où l’on est raciste parce qu’on répète ce que disent les autres, où on frappe. Dans ce contexte, le sort d’Eddy Bellegueule est scellé : gay, il est le vilain petit canard de la famille, celui qui se cache parce qu’il se sait différent. « J’étais complice de cette violence », avoue le narrateur, racontant qu’il préférait se faire tabasser par ses camarades de lycée plutôt que de se faire remarquer. Mais de cette différence naîtra tout de même une issue.
Le lecteur adhère d’emblée à ce récit extrêmement dur. Sans doute parce qu’il raconte des territoires perdus dont on ne parle jamais (la campagne profonde plutôt que les cités des grandes villes) et parce qu’il met en scène des personnages oubliés de tous, dont la seule arme est la haine de l’autre. Ce Nord qui a l’air d’un pays étranger et cette époque qui ressemble au XIXe siècle sont pourtant les nôtres. C’est bien le message que souhaite faire passer Edouard Louis, diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et aujourd’hui élève à Normale sup, qui a dirigé aux Puf un essai sur Pierre Bourdieu, Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage. « Il essaie de comprendre le milieu dont il est issu d’un point de vue politique et sociologique », explique son éditeur René de Ceccatty.
Mais le talent d’Edouard Louis, qui est en train de réaliser un documentaire pour Arte sur Michel Foucault, tient aussi à son style et à la mise à distance du récit. Sans rancune ni haine, il se refuse à juger ses parents ou à les ridiculiser. Emaillant le récit de longues citations, laissant la parole à ses personnages avec leurs maladresses d’expression, il plonge le lecteur dans l’univers familial. En somme, il a réussi un objet littéraire.