Il ne posait pas vraiment de lapin, le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles... mais il était toujours en retard. Motus et bouche cousue sur les raisons de ces contretemps. L'album Madame le lapin blanc s'engouffre dans cette énigme et nous fait entrer dans la sphère familiale et intime de la femme de ce personnage carrollien. Comme toutes ses congénères, elle a une nombreuse progéniture. La sienne lui donne bien du tracas. Ainsi l'aînée, Beatrix, après avoir voulu devenir tout à tour pompière, scaphandrière puis punk, s'est mis en tête de devenir top-modèle. Résultat : adieu les saltimbocca de carottes, les carottes à la diable et les sandwiches carotte-carotte que l'album détaille sur une double page ! Quant aux jumeaux Gilbert et George (sic), ils lui donnent moins de fil à retordre. Le petit Eliot, lui, est bien un peu étrange quand il demande pour Halloween un costume de lapin blanc... Bref, la ribambelle de lapereaux est usante et pompante à souhait, mais Madame le lapin blanc s'en accommode cahin-caha. En revanche, ce qui ne va pas dans sa vie, mais alors pas du tout, c'est son mari, qui ne daigne jamais couler le moindre regard vers elle, préférant éternellement consulter sa montre. Elle a beau se mettre un seau sur la tête pour lui servir sont thé, tout essayer pour attirer son regard, rien n'y fait. Le lapin blanc vit dans son monde... A lui les grands débats du siècle, à elle les tracas du quotidien. Aujourd'hui, elle a 30 ans, mais son lunaire de mari va-t-il seulement s'en souvenir ? Avec une sacrée dose d'humour et de tendresse, cet album revisite d'un oeil féministe le célèbre conte de Lewis Carroll, multipliant les clins d'oeil comme cette immense ballerine noire d'Alice qui bloque l'entrée au salon... L'illustration de Gilles Bachelet est truffée de détails croquignolets, que ce soit la photo de famille sépia où le mari fait la tronche, ou la double page d'une salle de classe dont la maîtresse dit qu'elle est "pleine de vie et de diversité". De fait, on y voit tous les élèves de la classe parfaitement concentrés sur leurs... bêtises, qui de lancer une cocotte en papier, qui de jouer aux cartes sous la table... Gilles Bachelet, qui avait décroché un Baobab à Montreuil en 2004 pour Mon chat le plus bête du monde, revient avec bonheur cet automne. On espère que son album, comme les lapins, fera plein de petits...
