Avant-critique Roman

Patrick Deville, "Saint-Nazaire" (Seuil)

Patrick Deville - Photo © Bénédicte Roscot

Patrick Deville, "Saint-Nazaire" (Seuil)

Dans un récit des plus personnels, Patrick Deville retourne au Saint-Nazaire de son enfance pour raconter ses voyages entre les latitudes et les langues.

Parution 11 octobre

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 09.10.2024 à 09h00

D'une rive l'autre. Vedi Napoli e poi muori... Voir Naples et mourir, l'expression en français remplace généralement la belle ville du Mezzogiorno par la cité des Doges... On dit « Voir Venise... » mais on pourrait aussi bien substituer à la Sérénissime toutes ces villes dont l'évocation, voire l'énonciation, fait rêver : Tombouctou, Katmandou, Acapulco... Peu importe la réalité des promesses d'évasion ou de la beauté des lieux. Tout littéraire sait que les mots sont le premier véhicule du voyage. Sonorités mystérieuses, vocables bigarrés, idiomes chantants... Être sensible à la langue, c'est être sensible à toutes les langues, à leur traduction. Ce qui compte pour l'écrivaine, l'écrivain, c'est exprimer par la phrase la voix intérieure, l'âme, l'âme surtout incarnée, c'est-à-dire le sentiment fait verbe. Écrire, traduire, voyager... Trois activités qui définissent Patrick Deville. Après l'Amérique centrale, l'Afrique équatoriale, l'Asie du Sud-Est, voilà que l'auteur de Peste & choléra (Seuil, Prix Femina 2012) consacre un livre à Saint-Nazaire. Pour le coup, ce choix de destination pour cet éternel arpenteur de latitudes a de quoi surprendre. Certes, le chantier naval, la base sous-marine, mastodontesque vestige de l'occupation allemande devenu centre d'art contemporain, l'esthétique balnéaire des années 1950 à la Jacques Tati... font de Saint-Nazaire une curiosité à visiter en Loire-Atlantique. Mais de là à en faire le personnage principal de son nouvel ouvrage ? !

Saint-Nazaire, c'est une manière d'Odyssée, le retour vers Ithaque. Patrick Deville y naquit douze ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, pas à Saint-Nazaire même, mais à Paimbœuf, sur la rive sud de l'estuaire. Son père y dirigeait l'hôpital psychiatrique du domaine du lazaret de Mindin. Le jeune Patrick prenait le bac pour se rendre de l'autre côté de la rive, à Saint-Nazaire. Aujourd'hui tout à fait Nazairien, le directeur littéraire de la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs (MEET) qu'abrite le plus haut immeuble de la ville, dit « le Building », a décidé de se domicilier dans la ville portuaire d'où l'adolescent nantais Jules Verne voulait s'embarquer. La MEET- acronyme à prononcer à l'anglaise pour signifier la rencontre - propose des résidences d'écrivains de tous les continents. Certains furent récipiendaires du Nobel de littérature, tels les deux seuls lauréats chinois du prix de l'Académie de Stockholm Gao Xingjian et Mo Yan. Mais outre l'aventure de cette entreprise de production et traduction littéraires, Deville signe ici l'un de ses textes les plus personnels- le récit d'une vie d'homme et d'écrivain, pas encore arrivé à destination. Charon peut bien attendre...

Patrick Deville
Saint-Nazaire
Seuil
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 17,50 € ; 168 p.
ISBN: 9782021575347

Les dernières
actualités