Au cœur d'une querelle entre ayants droit et éditeurs, les grands succès de Jean Ferrat, décédé en 2010, pourraient être à l'origine d'une jurisprudence nouvelle du droit d'auteur. Après quatre ans de procédure, Alléluia Productions et son gérant Jean Meys, détenteurs des droits patrimoniaux et moraux du chanteur, ont obtenu gain de cause face aux Editions de l'Archipel (groupe Editis). Cette maison avait publié en mars 2013 Jean Ferrat - Le charme rebelle, une biographie étayée de soixante extraits de chansons écrites ou interprétées par l'artiste.
Alors qu'il se croyait dans les usages de l'exception du droit de citation, l'éditeur, défendu par Me Anne Veil, s'est vu assigné en 2014 pour contrefaçon et atteinte au droit moral. Débouté en première instance, l'exécuteur testamentaire de Jean Ferrat, représenté par Me Christine Aubert-Maguero, a gagné en appel. La cour de cassation, saisie par l'Archipel, a confirmé cette décision par un arrêt repris en cour d'appel de renvoi, rendu en novembre dernier et clôturant l'affaire, qui a coûté 30 000 euros à l'éditeur en dommages-intérêts divers.
Les juges ont d'une part rappelé les règles de l'exception de courte citation, considérant que celles des chansons figurant dans la biographie ne font l'objet « d'aucune critique ou polémique, qu'elles ne sont pas introduites afin d'éclairer un propos ou d'approfondir une analyse à visée pédagogique, et que tirées d'œuvres publiées, elles n'apportent aucune information particulière ».
Mais surtout, la cour de cassation et la cour d'appel de renvoi ont considéré que musique et paroles d'une chanson forment un ensemble indissociable. La publication d'extraits du texte seul porte atteinte à l'intégrité de l'œuvre, et donc au droit moral de son auteur. Il sera risqué désormais de citer des paroles de chanson sans leur mélodie. Les déclarations nombreuses de Jean Ferrat, opposé à la publication de biographies, ont également pesé.
Fayard, qui avait publié en 2010 Jean Ferrat - Je ne chante pas pour passer le temps, une biographie comptant 132 extraits de chansons, a été assigné sur les mêmes bases en 2013. Ce dossier arrivera en appel en novembre ; Me Anne Veil, qui plaide aussi pour cet éditeur, reconnaît que son issue ne fait guère de doute. Hervé Hugueny