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Ouvrir plus les médiathèques : des obstacles demeurent

La médiathèque L'Échappée à Rillieux-la-Pape, Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques 2021, est ouverte 40 heures par semaine. - Photo © Benjamin Gremen/Kaptis

Ouvrir plus les médiathèques : des obstacles demeurent

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a annoncé le 6 septembre vouloir étendre l'aide à l'élargissement des horaires d'ouverture des bibliothèques. C’est depuis 2016 que l'État prévoit une enveloppe spéciale, qui s’élevait en 2022 à plus de dix millions d'euros. Reste pour les médiathèques à résoudre les problèmes techniques et culturels que cela pose.

Enquête initialement publiée par Livres Hebdo le 13 janvier 2023

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Par Fanny Guyomard
Créé le 13.01.2023 à 15h47 ,
Mis à jour le 07.09.2023 à 19h12

Ouvrir plus longtemps les bibliothèques pour occuper les jeunes ? C’est la teneur du projet de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, interviewée mercredi 6 septembre sur franceinfo. « Plus une bibliothèque sera ouverte le soir, le dimanche, plus ces jeunes auront des possibilités de trouver des espaces de rencontres, de calme, de travail, de lecture, de musique », a-t-elle lancé. Les émeutes de fin juin, qui ont conduit à l’incendie d’une cinquantaine de bibliothèques, sont encore dans les esprits. L’idée, donc : amplifier les aides pour élargir leurs horaires d’ouverture.

Car une bibliothèque peut bien proposer des services excellents, s'ils ne sont accessibles que dix heures par semaine, c'est raté. Lorsqu'elle étend ses horaires d'ouverture aux créneaux les plus pertinents, cela entraîne « une augmentation de la fréquentation et une diversification des publics, renforçant ainsi le rôle des bibliothèques dans la réduction des fractures sociales et territoriales », soulignaient en 2020 les sénatrices Colette Mélot et Sylvie Robert dans un rapport évaluant les avancées faites depuis un autre rapport, décisif, « Voyage au pays des bibliothèques », remis par l'académicien Erik Orsenna et l'inspecteur général des affaires culturelles Noël Corbin en février 2018.

1. Aides financières croissantes

Après un tour de France des bibliothèques pour recueillir les attentes des élus, des bibliothécaires et de leurs usagers, ils dressaient ce constat : en 2015, les bibliothèques étaient ouvertes 15 heures par semaine dans les villes de 2 000 à 5 000 habitants, une vingtaine d'heures jusqu'à 40 000 habitants et 42 heures par semaine pour les villes de plus de 100 000 habitants (voir le tableau). Si l'on prend la moyenne des dix principales bibliothèques municipales de Paris, elles n'étaient ouvertes que 38 heures par semaine, loin derrière Copenhague et ses 98 heures ou Londres et ses 78 heures.

« Il faut ouvrir plus et ouvrir mieux, concluaient Orsenna et Corbin, c'est-à-dire en fonction des besoins des habitants. » L'État a donc renforcé l'accompagnement financier des collectivités dans ce sens. Entre le lancement de l'aide à l'extension des horaires d'ouverture en 2016 et la fin de l'année 2021, plus de 520 projets ont bénéficié d'une aide de la dotation générale de décentralisation (DGD), qui s'étend au maximum sur cinq ans. En 2022, la part de la DGD consacrée aux extensions des horaires d'ouverture s'élève à un peu plus de dix millions d'euros, et le ministère de la Culture compte plus d'une soixantaine de nouveaux projets, dans des territoires de tous types. Pour bénéficier des subventions auprès de sa Direction régionale des affaires culturelles (Drac), la médiathèque dépose un dossier qui motive cette accessibilité plus large – parce qu'elle a étendu ses espaces par exemple, ou que le besoin est exprimé par des habitants enquêtés.

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La bibliothèque Saint-Thomas de Sciences Po Paris, comme de nombreuses BU, a des horaires très étendus (8 h-23 h en semaine).- Photo © CAROLINE MAUFROID / SCIENCES PO

Bilan : « Les dernières données recueillies cet été permettent d'estimer que les projets soutenus ouvrent en moyenne 9 h 30 de plus par semaine, précise pour Livres Hebdo le ministère de la Culture (voir le tableau)Plus de douze millions de personnes résident dans une commune ou une intercommunalité dont la bibliothèque propose une extension de ses horaires d'ouverture accompagnée par la DGD. »

Les médiathèques accompagnées ouvrent des créneaux en soirée, le samedi, pendant les vacances... Et seulement un peu moins d'un quart des projets soutenus par la DGD a choisi d'ouvrir le dimanche (113 projets). D'après les données de l'enquête annuelle sur les données d'activité des bibliothèques des collectivités territoriales, seules 544 bibliothèques déclarent avoir été ouvertes le dimanche en 2021, sur 16 500 bibliothèques et points de lecture en France. Alors que le président de la République Emmanuel Macron, lors de son premier mandat, avait fait de l'ouverture des bibliothèques le dimanche (et en soirée) l'une de ses priorités en matière culturelle.

2. Ouvrir le dimanche : pertinent ou non ?

À la nouvelle bibliothèque de Bolbec (Seine-Maritime), par exemple, on estime que l'ouverture dominicale ne serait pas adaptée à son territoire rural. Mais y a-t-il une résistance de la part des bibliothécaires eux-mêmes ? En 2021, des agents du réseau de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis) manifestaient contre l'ouverture des médiathèques de centre-ville ce jour traditionnellement dédié à leur famille, parce qu'elle entraînait également des réductions d'horaires dans des médiathèques de quartier... « L'ouverture des médiathèques de centre-ville le dimanche est faite aussi pour les habitants des quartiers », défendait alors la chargée de la lecture publique Séverine Éloto, en ajoutant que « la présence des bibliothécaires des quartiers en centre-ville le dimanche crée un élément de familiarité pour les publics des quartiers. » « Mais personne n'a été embauché avec un contrat spécifiant qu'il travaillerait le dimanche », accusait la CGT.

3. Fédérer les travailleurs... et trouver des financements

« L'implication des professionnels est indispensable à la réussite d'une ouverture le dimanche », résume un responsable de médiathèque qui a travaillé sur le sujet, mentionnant des résistances dans son équipe. Sacrifice de la vie de famille, peur de la nouveauté... Après des réunions en groupe ou en individuel, une partie du personnel s'est dite partante, mais se sont posées les questions juridiques et budgétaires : quelles compensations, primes, heures majorées, roulement des salariés et renfort de contractuels ? De toute manière, même avec des aides possibles de l'État, l'inflation et la hausse du prix de l'énergie ont pour le moment mis un terme à ce projet. Pour les médiathèques déjà engagées et qui s'approchent de la fin de l'aide de l'État sur cinq ans, elles peuvent se tourner vers une autre subvention, un contrat territoire-lecture (CTL) qui s'échelonne sur trois ans.

La cherté de l'énergie fait des bibliothèques des lieux refuges pour les personnes précaires qui y trouvent du chauffage et des prises pour charger leur téléphone. « Les bibliothèques universitaires sont ouvertes sur de larges plages horaires, ce qui apparaît indispensable pour les étudiantes et étudiants les moins favorisés », souligne Marc Martinez, directeur des BU de Sciences Po Paris et président de l'Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU). Quitte à faire reposer cette ouverture sur des emplois précaires comme des vacataires et moniteurs étudiants. « On sait que le travail étudiant peut être un frein à la réussite des études, nuance Marc Martinez ; du moins un travail en bibliothèque place-t-il les étudiantes et étudiants dans une situation plus confortable que s'ils devaient recourir à de petits jobs plus précaires. »

 

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Bibliothèque en « open+ access » à Them, au Danemark. Mille bibliothèques ont déjà choisi ce système qui permet en théorie une ouverture 24 h/24, dont 70 % au Danemark.- Photo DR

4. Ouvrir sans bibliothécaire

Pour ouvrir plus sans coûts RH supplémentaires, certaines bibliothèques ouvrent... sans bibliothécaire, grâce aux nouvelles technologies. À l'ENS Lyon, les salles de lecture du site Monod sont ainsi accessibles aux membres de l'école tous les jours, dimanches et jours fériés compris, de 8 heures à 23 h 15, grâce à un portique et un badge. Le Grand équipement documentaire (GED) du Campus Condorcet (Seine-Saint-Denis) vise, lui, une accessibilité 24 h/24, 7 j/7. Ce système d'ouverture est plus courant en Europe du Nord.

L'entreprise Bibliotheca, qui vend un outil dans ce sens appelé « open+ access », dénombre plus de mille bibliothèques clientes dans le monde, dont 70 % des bibliothèques du Danemark. Depuis juin, la bibliothèque bruxelloise Bruegel a ainsi étendu ses horaires d'ouverture de 42 heures sans personnel. Pour déverrouiller la porte, l'abonné scanne sa carte sur une borne d'accès. Côté sécurité : des caméras et l'indication de numéros d'appels d'urgence. Avant la fermeture à 22 heures (week-end compris), des signaux sonores et une baisse d'intensité lumineuse signalent le moment de quitter les lieux.

En France, deux médiathèques se sont lancées : la bibliothèque d'Angerville ouverte fin novembre et, depuis août, la médiathèque du Zèbre, dans la commune de 9 800 habitants d'Albert (Somme). La première propose onze heures en plus des horaires d'ouverture au public, quand les agents s'occupent de tâches administratives ou accueillent des classes, par exemple. La seconde propose deux heures d'ouverture le lundi, et ne signale aucun incident, tel que des usagers faisant entrer d'autres personnes avec elles par exemple. Mais pour des raisons de sécurité, un agent reste sur place et peut travailler dans un bureau fermé.

Les usagers intéressés (commerçants, enseignants, employés de la fonction publique...) sont près de 150 à ce jour, un chiffre très satisfaisant. Les moins de 16 ans doivent venir avec un adulte. Et pour les étudiants, se pose la question d'ouvrir sur ce mode le soir. Mais pas le dimanche, un créneau qui s'adresse à un public familial friand d'animations. « Cela reste un service dégradé, il n'y a pas de conseil et le prêt de matériel informatique est suspendu, reconnaît Chloé Dersigny, directrice du service de la lecture publique. Mais nous envoyons un message aux usagers : vous êtes autonomes, on vous fait confiance. » Et faire confiance, c'est ouvrir mieux.

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La médiathèque Le Zèbre à Albert s'est équipée du dispositif « open+ access » avec badge et portique d'accès.- Photo DR

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