Entre ici, Jean Desbordes. Lui, tout ce qu'il voulait, c'est vivre, libre, d'amour et de poésie. Lorsqu'il débarque à Paris, fin juin 1925, de son Rupt-sur-Moselle natal, Jean Desbordes a 19 ans. Il est beau, un peu efféminé, et écrit depuis déjà tout jeune. C'est comme cela qu'il est entré en contact avec Jean Cocteau, son idole, en lui envoyant de ses textes. Celui-ci fera publier chez Grasset en 1928 son premier livre, inclassable, J'adore, préfacé de sa main, comme il l'avait fait pour Le diable au corps de Raymond Radiguet, dont la mort en 1923 l'a laissé inconsolé. Même s'il y a eu dans sa vie, depuis, bien d'autres garçons.
Dont Jean Desbordes, surnommé Jean-Jean, qui jette vite aux orties le protestantisme rigoriste de sa famille (de sa mère Georgette, son père étant mort lorsqu'il était tout jeune) : il aime les garçons, découvre l'alcool, les amours charnelles et, pour son malheur, l'opium, avec Cocteau. Leur vie commune, dans la dèche et le luxe, jusqu'en 1936 et sa rencontre avec Madeleine Peltier qui deviendra sa femme, est une suite de fêtes, de rencontres avec toute la jet-set littéraire et artistique de l'entre-deux-guerres, dont Cocteau est l'une des figures de proue, adulé des uns, détesté par les autres dont les surréalistes.
Malgré l'appui de son célèbre amant, la carrière littéraire de Jean-Jean ne décollera jamais vraiment. Et arrive la guerre. Cocteau ménage prudemment la chèvre et le chou : jadis proche de Jean Zay, juif, franc-maçon et ministre du Front populaire, on le voit s'afficher avec un Otto Abetz, il continue de publier et de faire jouer ses pièces sous l'Occupation. Desbordes, lui, dès 1942, entre dans la Résistance, le réseau F2 franco-polonais, lié à l'Intelligence Service. Il devient le Capitaine Duroc, chargé de mission pour le Nord, la Normandie. À ce titre, il renseigne, organise des réseaux (ce qui causera sa perte), aide au débarquement et à la victoire à venir. Qu'il ne verra pas.
Le 5 juillet 1944, trahi, il est arrêté à Paris, emmené à la Gestapo, martyrisé, et meurt le jour même. Sans avoir parlé. Madeleine est déportée à Ravensbrück. Cocteau a fait ce qu'il a pu, en vain, trop tard. Il finira par reparler de lui en 1960. Mais l'œuvre de Jean Desbordes est totalement oubliée. Son corps repose chez lui, à Rupt-sur-Moselle. Son nom figure au Panthéon, sur une plaque collective dédiée aux écrivains morts pour la France. « Entre ici, Jean Desbordes »... Le beau récit émouvant d'Olivier Charneux donne envie de le découvrir. J'adore a été repris dans « Les Cahiers rouges » (Grasset), en 2009.
Le glorieux et le maudit. Jean Cocteau-Jean Desbordes : deux destins
Seuil
Tirage: 3 200 ex.
Prix: 19,50 € ; 272 p.
ISBN: 9782021514216