avant-portrait

Dites seulement que je suis une Maghrébine d’une cinquantaine d’années, moitié berbère, moitié arabe, célibataire. Et vraiment une femme, pas comme Yasmina Khadra !" explique Nedjma en guise de préambule. On n’en saura pas plus. Depuis L’amande, son premier roman, paru chez Plon en 2004 et revendiqué comme "le premier roman érotique écrit par une femme musulmane", elle vit dans la clandestinité. Personne, même dans sa famille, n’est dans la confidence.

Le livre a remporté un beau succès en France (plus de 40 000 exemplaires vendus selon l’éditeur), il est traduit dans une dizaine de langues (mais pas en arabe) et il a suscité des réactions passionnelles sur les réseaux sociaux, notamment au Maghreb. "Je n’ai pas le courage d’un Rushdie, dit Nedjma, j’ai choisi de prendre un pseudonyme. C’est comme un voile derrière lequel je me sens libre de titiller le monde arabe par le sexe. Si quelqu’un représente l’islam dans sa grande tradition, dans sa splendeur, c’est moi, pas les imams."

L’amande, écrit "à la suite d’un pari avec une copine", c’était un récit très cru, l’histoire d’une paysanne d’un milieu conservateur qui fuguait à la capitale et tombait amoureuse d’un bourgeois érotomane qui l’initiait à la sexualité, "y compris homo". "Je brisais volontairement un tabou, puisque dans notre société le sexe est dénié aux femmes." Expédié à un seul éditeur, Plon, le manuscrit fut accepté illico par Olivier Orban.

Savoir-aimer

Après un silence de quelques années ("On écrit avant tout pour soi, estime Nedjma, on n’est pas obligé de sortir un livre tous les ans"), elle revient en 2009 avec La traversée des sens, qui lui a été inspiré par une de ses cousines et se présente comme un conte. C’est l’histoire d’une jeune femme "qui a été tellement bien scellée par magie que même son mari ne parvient pas à la déflorer. Elle va alors connaître une initiation sexuelle à travers différents pays arabes, encore sous dictature ". Dans ce livre apparaissait le personnage de Badra, peut-être un double de l’auteure, qui joue également un rôle important dans D’ambre et de soie, son nouveau roman.

Le héros, cette fois, est un homme, Karim. Un jeune Marocain qui vit en France, où il est journaliste à la radio. Puceau, frustré mais très désireux de trouver l’amour, il va multiplier les expériences, manquer de se marier une ou deux fois, avant de rencontrer Malika, une Algérienne dominatrice, qui va le faire méchamment souffrir. Le ton, ici, est différent. Toujours cru, mais presque tendre. "Je voulais me mettre dans la peau d’un homme, explique Nedjma, comme une anti-Shéhérazade, pour raconter à la fois son initiation, mais aussi dénoncer le carcan qui pèse sur lui."

A rebours de l’actuelle radicalisation du monde musulman, Nedjma prêche pour "le savoir-aimer, le sexe, les femmes, la nature, l’autre et soi-même, en définitive". Un idéal qu’elle voudrait continuer à célébrer dans d’autres romans, femme cachée derrière son anonymat comme un moucharabieh, mais écrivaine libre.

Jean-Claude Perrier

 

Nedjma, D’ambre et de soie, Plon. 16 euros, 256 p., 12 000 ex. ISBN : 978-2-259-21012-6. Mise en vente le 8 janvier.

14.11 2014

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