De passage à Paris pour une conférence organisée par le Comité français international bibliothèque et documentation autour des fake news, l'ambassadrice infatigable des bibliothécaires américains, Loida Garcia-Febo, présidente depuis l'an passé de l'American Library Association (ALA) a élaboré un programme de grande envergure pour porter la parole des professionnels auprès des politiques et du grand public.
Livres Hebdo : Quelles sont vos priorités en tant que présidente de l'American Library Association ?
Loida Garcia-Febo : La première est de garantir que les bibliothèques puissent servir toute la diversité des usagers, les enfants, les personnes âgées, les migrants, les membres de la communauté LGBTQ. Le bien-être des personnels des bibliothèques est aussi un sujet très important pour moi. Nous avons créé un site Internet qui fournit des ressources dans huit domaines clés tels que le bien-être spirituel, émotionnel, physique, financier, car il est indispensable de se sentir bien pour pouvoir aider les autres au mieux. Plaider la cause des bibliothèques est, bien sûr, au cœur de mes priorités. Les enjeux sont de préserver les budgets et la présence de personnels qualifiés, de garder les bibliothèques ouvertes. Plusieurs Etats, par exemple, ont décidé de fermer les bibliothèques scolaires pour des motifs financiers, c'est préoccupant. J'ai mis en place une tournée nationale pour la promotion des bibliothèques. Je me suis déjà rendue dans cinq villes. A chaque fois, j'interviens lors de rencontres hors les murs auxquelles nous convions les élus locaux, la presse. Chaque année, des délégations de bibliothécaires se rendent aussi à Washington lors du National Library Legislative Day pour rencontrer les sénateurs et membres du Congrès. C'est un rendez-vous important.
L'année dernière, grâce à une campagne de l'ALA, le gouvernement fédéral a renoncé à son projet de supprimer l'Institute of Museum and Library Services (1). Comment avez-vous obtenu ce résultat ?
L. G.-F. : Notre bureau de Washington a élaboré une mobilisation dans tout le pays en diffusant un texte de plaidoyer à tous les membres de l'association pour qu'eux-mêmes le relaient dans leurs réseaux. Les bibliothécaires, leurs amis, leurs familles, les usagers étaient invités à l'envoyer par texto, mail ou tweet aux parlementaires de leur Etat. Laissez-moi vous dire que cela a très bien marché. Des centaines de milliers de messages ont été envoyés et, grâce à cela, l'IMLS n'a pas été supprimé. Si nous rencontrons à nouveau le problème lors du vote du prochain budget, nous recommencerons la même stratégie.
Vous êtes venue en France pour intervenir dans une conférence autour des fake news. Quel rôle peuvent jouer les bibliothèques dans ce domaine ?
L. G.-F. : Les bibliothèques ont toujours lutté contre la désinformation, il y a un siècle comme aujourd'hui. Comment ? En fournissant des faits. Les bibliothécaires ont des compétences dans le domaine informationnel dont ils peuvent faire bénéficier les usagers. Ces derniers doivent acquérir le réflexe de s'interroger sur ce qu'ils lisent. C'est une question cruciale car les personnes qui publient des fake news sur le Web sont très douées et donnent de plus en plus à leurs informations des allures scientifiques qui trompent les gens.
L'ALA a ajouté en février à sa charte des droits des bibliothèques un amendement qui reconnaît la vie privée des usagers. Pourquoi était-ce important ?
L. G.-F. : Le Library Bill of Rights est un document essentiel qui fixe un cadre éthique pour les bibliothèques. Le nouvel amendement affirme le droit des usagers à la confidentialité des données liées à leur utilisation des bibliothèques, telles que l'historique de leurs emprunts. L'ALA organise chaque année une Semaine de la vie privée au cours de laquelle nous rappellons l'importance des droits individuels à la vie privée et le rôle des bibliothèques pour protéger ces droits, dans un contexte où les réseaux sociaux, immensément populaires, soulèvent des interrogations sur la confidentialité des données qui y sont publiées. Les gens ne savent pas, par exemple, que lorsqu'ils publient une photo sur Facebook, elle devient la propriété de Facebook !
Votre association a cependant conclu récemment un partenariat avec Google pour organiser des ateliers numériques dans les bibliothèques. N'est-ce pas contradictoire de s'associer à un géant d'Internet qui collecte massivement des données, y compris privées ?
L. G.-F. : Je comprends vos réticences. Effectivement, Google est un géant de la technologie qui possède une très grande partie des outils que nous utilisons au quotidien. Cependant, nous avons un excellent partenariat avec lui qui nous permet d'initier les jeunes au code informatique, de rapprocher la technologie des usagers. Tout est question d'équilibre. Nous avons ce partenariat mais, dans le même temps, nous incitons les usagers à être conscients des questions de confidentialité autour des informations partagées en ligne.
(1) L'IMLS est un organisme fédéral chargé de soutenir financièrement les bibliothèques, les musées et les archives.