Avant-critique Roman noir

La dormeuse du val. Dans ce trou de verdure où chante le bras d'une rivière bordé de saules, Marie dort dans le soleil. Elle qui se rêvait actrice sur des planches lointaines a des ecchymoses rouges au côté droit et de vilaines traces de strangulation autour du cou. Pour un premier rôle, même distinctement rimbaldien, on a connu mieux. Deux pêcheurs font la macabre découverte tandis que l'autoradio d'une Renault 5 de passage entonne Like A Virgin de Madonna, indiquant ainsi la date approximative des faits, soit le mitan des années 1980. Mais c'est plutôt la chanson Ces gens-là de Jacques Brel qui d'emblée carillonne dans nos mémoires, avec son amertume au plus près de cette terre que les charrues morcellent en mottes. Les lieux de la tragédie se divisent d'ailleurs en deux hameaux appelés Haute Motte et Basse Motte, comme pour mieux différencier les échelons sociaux de ce bout de friche perdu. Un exemplaire d'Ouest-France ou du Télégramme traîne sur une table pour localiser un drame breton. Mais n'importe quel ailleurs oublié des autoroutes de la civilisation pourrait assurer le décor avec la même désespérance.

Les parents de Marie sont pharmaciens, ceux de Marguerite de rustres paysans. L'une est une jolie poupée morte, l'autre un crasseux chiffon maltraité. Tout les séparait, mais Marguerite aimait bien Marie, la seule du bus scolaire à ne pas se moquer d'elle, voire à la défendre à l'occasion. Du coup, sans la moindre once de jalousie, ce sentiment mesquin à des années-lumière de son monde exigu, Marguerite n'avait d'yeux que pour la radieuse fée blonde, ignorant les potins et la mauvaise réputation de Marie, couche-toi-là évidemment. Après Brel, c'est Brassens qui fait sa fête au village sans prétention, théâtre à ciel ouvert où chacun tient son rôle à des degrés divers de composition. Et dans ce possible Clochemerle des monts d'Arrée, comme dans tous les autres, les ragots s'accordent mal à la recherche d'une vérité. Chacun s'invente des conclusions et des fautifs. Il faut dire qu'ils sont légion à pouvoir endosser la vocation du coupable, même si le légiste réduit le panel des suspects en annonçant bientôt l'absence de viol et une grossesse en marche depuis plusieurs mois. Même la nature passe de simple fond de scène à personnage à part entière, comme si les lieux s'avéraient aussi coupables que leurs habitants, comme si la rivière avait jeté la première de ses pierres à Marie.

Du thème classique de la ruralité en vase clos, Mathilde Beaussault tire la sève d'un premier roman à la fois simple et assuré, limpide et bien construit- soulignons à ce propos l'habile retranscription en monologues et en italique des auditions de tous les protagonistes, comme captées par la caméra d'interrogatoire de la gendarmerie. Certaines mouches du coche en profitent pour jouer des coudes et se refaire de la place sur le malheur d'autrui : un peu de terre contre un peu de honte. De cette même terre et de cœurs secs, à peine irrigués par des larmes de saule ou de crocodile, l'autrice calibre une pièce en un acte mortel dont la pauvre Marguerite est la seule à connaître le texte sur le bout de ses ongles encrassés. Quand elle trouvera le courage et quelques mots pour lâcher ses tirades, les révélations tomberont.

Mathilde Beaussault
Les saules
Seuil
Tirage: 5500 ex.
Prix: 19,90 € ; 272 p.
ISBN: 9782021576986

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