FIBD 2024

Marché de la BD / Mangas : retrouver l'équilibre

Lecteur de Manga au Manga café à Paris - Photo olivier dion

Marché de la BD / Mangas : retrouver l'équilibre

Merci qui ? Merci Astérix. Comme tous les deux ans, le marché global de la bande dessinée voit ses chiffres dopés par les ventes hors norme du petit Gaulois, dissimulant à peine un recul quasi général. Les éditeurs de BD, dans un marché ultra-concurrentiel, font le dos rond et préparent doucement leur rebond. État des lieux du marché, à l'occasion du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, qui débute mercredi 24 janvier.

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Par Benjamin Roure
Créé le 23.01.2024 à 15h11 ,
Mis à jour le 23.01.2024 à 17h54

« Durant le premier semestre, le marché a été très fébrile. Un redémarrage a lieu à la rentrée, mais les achats de Noël ont été extrêmement tardifs ». Voilà comment Frédéric Schwamberger, directeur de Futuropolis, résume l'année du secteur de la bande dessinée. Un constat auquel souscrivent la plupart des éditeurs, oscillant entre soulagement d'une chute enrayée et incertitude. D'abord sur la question de la flambée des coûts de fabrication. « On a des signaux de hausse pour l'année à venir, en raison notamment de la réduction des capacités d'impression et du coût de certains papiers », soupire Benoît Pollet, directeur général de Glénat. Car si la hausse des prix de vente a pu amortir, en termes de chiffre d'affaires (-4,9 % en valeur, selon GFK), la baisse des ventes sur l'année (-11,4 % en volume), ce levier n'est pas activable à l'envi. « Nous avons augmenté le franco-belge en 2022, le manga l'an dernier, nous n'allons pas augmenter de nouveau », annonce François Capuron, directeur commercial du groupe Delcourt. Dargaud, en revanche, devrait faire évoluer ses tarifs, tout en réfléchissant à adapter son offre sur certaines gammes, telle la collection « Mâtin ! ", issue du journal Instagram éponyme. « Il semble que les beaux livres à dos carré à 19,90 € ne correspondent pas forcément à la cible plutôt jeune que nous visons ici, résume le directeur général de la maison Stéphane Aznar. Nous allons donc tenter une nouvelle approche avec des livres moins épais, souples et moins chers. »

C'est là que la question du format poche se pose. Si Le Lombard, Delcourt ou Rue de Sèvres se montrent réticents, Glénat y croit fort. « Nous voulons séduire un lectorat qui hésite à mettre 25 € dans un album, qui va découvrir le plaisir d'une bonne BD à petit prix, et ensuite être convaincu de l'intérêt de dépenser plus pour un bel objet », clame Benoît Pollet, qui avait déjà entamé la démarche dans son précédent poste chez Dargaud. Où son successeur, Stéphane Aznar, freine désormais : « Le bilan du poche est mitigé. Je ne pense pas que ce soit une histoire de rayon, mais davantage d'un format qui ne sied pas si bien à la bande dessinée. En littérature, le bénéfice prix du poche par rapport au grand format est important pour un confort de lecture proche. Ce qui n'est pas le cas en BD.» Mais le DG de Glénat d'opposer : « Le poche, ça ne peut pas fonctionner qu'avec 10 ou 15 références, et ça ne peut pas se faire d'un coup. Le roman n'a réussi que par une offre massive.» Ce seront donc « sept titres au prix unique de 10 €, qui sortiront en juin 2024 ; des romans graphiques récents et remarqués pouvant intéresser de jeunes adultes, ou des classiques de Chabouté ou Rabaté », détaille le directeur du pôle BD de Glénat Hervé Langlois. Cette offre rejoindra celles de Steinkis, jugée prometteuse par son P-DG Moïse Kissous, de Futuropolis, ou du pionnier Casterman, qui reconduira par ailleurs son opération de titres cultes en format réduit.

Le webtoon, tigre de papier ?

Que ce soit par une politique tarifaire ou une offre éditoriale dédiée, attirer les grands ados et jeunes adultes est un défi commun à la plupart les éditeurs, hors ceux spécialisés dans le manga qui touchent déjà ce cœur de cible. Le webtoon papier promettait monts et merveilles dans le sillage des hits Solo leveling ou Lore Olympus : beaucoup s'y sont lancés, tels Michel Lafon ou Editis avec le label Kotoon, ou prochainement Albin Michel avec le label Koda, mais les résultats sont décevants. « Je ne crois pas au passage au format papier de ces BD conçues pour les écrans, alors nous allons nous concentrer sur le numérique », tranche Christel Hoolans, directrice générale du Lombard et de Kana, dont le webtoon On the Frontier n'a pas transformé l'essai. Moïse Kissous avait parié sur le webtoon français star Colossale, et les résultats ne sont pas flamboyants. 

« Contrairement à ce qui se dit, on est proches des objectifs de vente, rassure-t-il, avec 20 000 exemplaires sur trois tomes. C'est vrai que nos éditions standards ont été en retrait, mais nos éditions collector ont performé. » Delcourt, de son côté, a dû fermer sa plateforme numérique Verytoon, mais garde son label Kbooks. « On ne sait pas comment le marché du webtoon papier va évoluer avec la recrudescence de titres coréens, avoue François Capuron. Nous avons pu maintenir le fonds de Kbooks grâce à notre locomotive Solo leveling, mais nous cherchons d'autres séries de milieu de tableau. On se diversifie avec une ligne de boys love coréens, qui nous permet de toucher d'autres communautés, très engagées ». Face à l'intransigeance des plateformes coréennes et au ticket d'entrée très élevé, il semblerait que ce marché ne soit pas l'eldorado attendu. Reste alors pour les plus entreprenants à se lancer dans la création numérique, comme la plateforme Ono (groupe Média-Participations) qui vient d'ouvrir un studio de webtoon pour soutenir trois séries suivies par Dargaud. Glénat planche aussi sur le sujet. « Le plus intéressant dans le webtoon est la constitution, dans son sillage, d'un vrai marché numérique, juge Benoît Pollet. Nous sommes en réflexion avancée sur la manière d'y entrer ».

Nouvelles jeunesses

L'attrait pour le webtoon peut s'expliquer par une évidente volonté de diversification, à l'heure où la bande dessinée traditionnelle peine à se renouveler. « Sur les séries classiques, on sent une vraie attrition », constate Christel Hoolans. Olivier Sulpice, fondateur de Bamboo, abonde : « Sans anniversaire ou événement particulier, c'est compliqué de maintenir l'intérêt sur des séries de plus de 20 tomes » (voir page 20). Quant aux nouvelles séries, tous martèlent qu'il est de plus en plus difficile d'en faire émerger. « Il y a une abondance de titres, notamment des essais et des romans graphiques. Il est de plus en plus complexe de se faire remarquer », ajoute Benoît Mouchart, directeur éditorial de Casterman.

Alors, pour trouver un nouveau souffle, le secteur compte s'appuyer sur ses fondamentaux métiers : l'innovation éditoriale et la promotion des livres. Ainsi, Albin Michel poursuit sa croissance dans la BD jeunesse avec des albums humoristiques signés de pointures telles Lewis Trondheim, Marc Dubuisson ou Davy Mourier. « Les auteurs ont carte blanche sur le degré d'humour, du gag visuel au comique cruel, explique l'éditrice Flore Piacentino. Je mise sur la curiosité des lecteurs pour s'ouvrir à différents styles. » Au sein du groupe Steinkis, Moïse Kissous va développer sa ligne d'albums jeunesse Splash ! : « Nous allons monter en puissance sur cette marque, en lançant des BD muettes, des BD de première lecture, des productions hybrides entre album jeunesse et bande dessinée. » Dargaud, de son côté, compte faire fleurir son nouveau label Combo, qui cible les jeunes adultes. « On ressent la même forte émulation, avec une nouvelle génération d'auteurs, nourris au manga, à l'animation, au jeu vidéo, qu'on avait pu connaître lors du lancement de la collection "Poisson Pilot" dans les années 2000 », se réjouit le directeur éditorial François Le Bescond.

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Festival international de la bande dessinée d'Angoulême (FIBD).- Photo OLIVIER DION

Même chez Futuropolis, qui célèbrera les 50 ans de sa marque cette année, « il faut continuer à innover ! », s'enthousiasme le directeur éditorial Sébastien Gnaedig« En bande dessinée du réel, qui est notre marque de fabrique, les libraires sont ensevelis, notamment par des essais adaptés du catalogue d'éditeurs qui se mettent à la BD par opportunité... Cela nous pousse à proposer des bandes dessinées du savoir d'un nouveau genre, pour toujours surprendre les lecteurs ». Audacieuse aussi, Rue de Sèvres se lance dans le manga. « Avec la collection"Le Renard doré", du nom de la librairie de Mickaël Brun-Arnaud, qui sera notre conseiller éditorial aux côtés du spécialiste Rémi Inghilterra, il ne s'agit pas de faire du manga dans une perspective mass market, indique Louis Delas, le directeur général. Cette collection publiera une dizaine de titres par an, des one-shot ou des séries courtes pour jeunes lecteurs de 7 à 12 ans. La prise de risque est réelle, mais proposer quelque chose de nouveau et de grande qualité est dans l'ADN de L'École des loisirs. Être éditeur est un métier d'offre : c'est ça que les financiers court- termistes ne comprennent pas. Il faut proposer de l'inattendu. »

Chez Dupuis, les innovations, au rang de l'internationalisation et de nouveaux partenariats, devraient être annoncées dans les prochains jours, au moment du Festival d'Angoulême. Mais la révolution se poursuit. « Nous continuons de réorganiser notre catalogue pour mieux parler à nos différents lectorats, la jeunesse d'un côté, les ados/adultes de l'autre », illustre la directrice générale Julie Durot. Et le directeur éditorial Stéphane Beaujean de compléter : «  Fondamentalement, la qualité est le seul critère pour s'installer dans la durée : tout le monde peut manipuler des outils pour faire décoller un titre, mais dans le temps, pour faire revenir les lecteurs, il faut des albums de qualité ».

La promo hausse le ton

Pour ce faire, les éditeurs tentent de consolider leurs structures, de l'édito à la diffusion. « Depuis quelque temps, Delcourt vit un fourmillement interne très excitant, à tous les étages », confirme François Capuron. « En 2024, Bamboo va se muscler en commercial, en marketing, en communication, en recrutant trois ou quatre personnes, glisse Olivier Sulpice. Entre le numérique, le webtoon, la multiplication des nouveaux entrants, le monde de l'édition de bandes dessinées va bouger : il faut qu'on se stabilise et qu'on reste costauds ». Au Lombard, Christel Hoolans note l'importance de soutenir l'essor de ses séries jeunesse - Les enfants de la Résistance, Elles, Les Héricornes - par des animations et des produits dérivés finement conçus.

« Il faut parler plus fort, dépenser plus en marketing, en communication, afin d'être visible », résume Stéphane Aznar. Chez Rue de Sèvres, Louis Delas conclut : « Notre offre est désormais complète en jeunesse et nous avons tous les espaces éditoriaux qu'il nous faut pour développer nos envies. Il nous faut désormais travailler à la diffusion sur tous les supports et les passerelles entre les supports. Il est vital de mettre des histoires dans les mains des enfants, car c'est déterminant pour leur vie future et pour la société en général ». Un vrai mantra pour les années à venir.

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