« - C’est sa prof qui a 20 ans de plus que lui, et il va la traquer. - Eh bah y’en a qui s’ennuient pas à l’école, hein ! - Bah ils ont que ça à faire, peut-être. »
Dans un reel Instagram baptisé « Je résume des dark romances par des dingueries à ma mère », Ayma Flips, 21 ans, plaisante avec sa maman, qui tient entre ses mains le roman Tragic & darker de Cynthia Havendean (Éditions Black Ink). Une manière amusante de promouvoir la librairie qu’elles ont fondée ensemble, Aya Books. Située à Lille, l’enseigne 100 % romance a ouvert ses portes le 4 juin dernier. D’une surface de 66 m2, elle propose près de 2 000 titres, en français comme en anglais, ainsi que des livres autoédités.
Aya Books, ou l’histoire d’une relation mère-fille puissante
L’idée a germé dans l’esprit d’Ayma Flips en 2023, alors qu’elle est encore étudiante en gestion d’entreprise. « Je n’aimais pas mes études, mais je lisais énormément, explique-t-elle à Livres Hebdo. Il n’y avait pas encore beaucoup d’offre de littérature romance dans le Nord, et j’en ai parlé avec des libraires qui m’ont conseillé de me lancer. » La jeune femme est alors Booktubeuse depuis trois ans, et elle cumule aujourd’hui plus de 30 000 abonnés sur Instagram et 136 000 sur TikTok.
Déterminée à ouvrir sa librairie avec sa mère Céline, elle réalise une étude de marché et conçoit un business plan avant de lancer une cagnotte Ulule où les deux femmes récoltent 1 844 euros, soit un peu plus que leur objectif de base. « C’était un coup de pouce supplémentaire, déclare Ayma Flips. Car ma bourse et le salaire de ma mère n’auraient pas pu tout couvrir. Nous avons demandé des subventions, mais ces choses-là prennent du temps. Ce n’est pas parce qu’on a une présence Internet qu’ouvrir sa librairie est facile. »
Pour enrichir l’expérience proposée aux lecteurs, Aya Books agrémente le lieu d’un salon de thé supervisé par Céline, qui a travaillé dans une boulangerie Paul pendant plus d’une dizaine d’années. Grande lectrice de thrillers et de livres d’horreur, cette dernière s'est mise à lire le genre littéraire favori de sa fille. Une initiative saluée par Ayma Flips : « Tout le monde me demande si c’est compliqué de travailler avec sa mère. Mais je la préfère à n’importe qui. Elle m’a élevée seule, et nous sommes très proches. »
La romance, préservée de la crise des librairies ?
Aya Books ouvre dans un contexte particulier. Comme le manga avant elle, il se dit de la romance qu’elle ne connaît pas la crise. Début 2024, le quotidien britannique The Guardian consacrait un article à la progression des librairies spécialisées en la matière aux États-Unis, et leur prédisaient un avenir radieux. Livres Hebdo observait une tendance similaire en France, confirmée depuis par des ouvertures en série aux quatre coins de la France.
En juillet, deux librairies conciliant romance et fantasy ont ouvert leurs portes : les Dryades Rêveuses à Dijon, et les Grimoires de Lorphé à Angers. D’autres, fondées l’année dernière, prospèrent comme L’encre du cœur, qui a inauguré une succursale à Caen fin novembre 2024. Leur créatrice, Édith Bravard avait, comme Ayma Flips, démarré sa carrière sur Booktok.
Viralité du phénomène, communauté de lectrices établies, et avalanche de labels éditoriaux… La romance semble donc plus rayonnante que jamais. Mais connaîtra-t-elle le même sort que le manga, considéré en crise après des années de très forte croissance, alors même que l'érosion actuelle des ventes de livres fragilise les librairies dans leur ensemble ?
Ayma Flips et sa mère, elles, ont décidé de relever le défi, guidées par leur propre expérience. « Vous savez, nous venons déjà d’un milieu précaire, alors nous n’avons pas peur de la précarité. » C’est avec cet optimisme à toute épreuve que commence l’aventure Aya Books.