Il y a, dans le nouveau média Courts Bouillon un parfum d’émancipation. Derrière ce nom se trouvent Quentin Guibereau et Floriane Candelon, anciens du groupe Humanoïdes Associés, où ils se sont rencontrés. Lui, éditeur passé par Glénat et la Boîte à Bulles (intégrée au groupe puis placée en procédure de sauvegarde en juin dernier) ; elle, graphiste formée à l’école Estienne, passée par Métal Hurlant lors de sa relance. Ensemble, ils ont décidé de lancer leur newsletter bimensuelle dédiée au 9ᵉ art, et à sa réhabilitation comme espace d’expression et d’expérimentation.
« La naissance de Courts Bouillon vient d’une désillusion, confie Quentin Guibereau. On s’est rendu compte que le milieu de la BD ne permet pas toutes les libertés que l’on souhaiterait. Les maisons d’édition y appartiennent souvent à des groupes aux intérêts éloignés de ceux des éditeurs, et surtout des auteurs. » Une frustration devenue moteur : lassés de voir les colères confinées aux coulisses du milieu ou aux réseaux sociaux, les deux fondateurs ont voulu créer un nouveau lieu de parole et de création.
Courts Bouillon entend ainsi donner la parole à celles et ceux qui, dans le monde de la BD, dénoncent les inégalités du secteur, la montée des discours réactionnaires ou encore la frilosité de certaines institutions culturelles. Pour rendre à la bande dessinée son essence première : celle d'un art de résistance et d’innovation.
« Avec les créations que l'on met en lumière, on veut porter un regard critique sur nos imaginaires »
Un mercredi matin sur deux, Quentin Guibereau et Floriane Candelon concoctent donc une sélection d’actualités, de recommandations, mais aussi des entretiens exclusifs avec des auteurs et autrices, et même la publication de planches inédites. Une démarche à mi-chemin entre le journalisme culturel et l’édition indépendante.
« On en avait marre de s’énerver à la pause-café avant de retourner enrichir notre patron. À notre échelle, avec les petites créations que l’on met en lumière, on veut porter un regard critique sur nos imaginaires, parce que c’est aussi par eux que le changement de société peut s’opérer », explique Quentin Guibereau.
Et Floriane Candelon d’abonder : « Quand je suis arrivée à Métal Hurlant, j’avais l’impression d’un truc un peu punk, gaucho, qui sortait des codes… Mais en réalité, il y avait une sorte de lissage politique. Avec Courts Bouillon, on souhaite reprendre cet esprit-là, mais sans peur, en osant franchement. »
Un pari ambitieux, mais risqué. À ce stade, le média coûte plus qu’il ne rapporte : ses fondateurs ont fait le choix de rémunérer équitablement les auteurs et autrices sollicités, tout en maintenant un accès gratuit à la newsletter et à un contenu limité sur Instagram. « Nous sommes très petits, mais l’idée est de préserver notre liberté en bricolant », explique Quentin Guibereau. « Le format de la newsletter est celui qui nous coûte le moins économiquement, et qui permet de rendre cette actualité du monde de la BD accessible au plus grand nombre », ajoute son acolyte.
« On a l’impression d'être dans un moment où les gens ont besoin de davantage de radicalité »
Mais plus qu’une veille informationnelle de l’actualité du secteur, le duo entend mettre en avant la BD indépendante et donner de la visibilité à de nouvelles voix, en dénichant des talents émergents à travers leur propre réseau ou sur Instagram, devenu une sorte de vitrine pour les artistes en herbe. « Finalement, on fait un véritable travail d’éditeur : on repère les auteurs émergents, on va en festival, on découvre, on rencontre des gens et on leur propose un espace d’expression », souligne Quentin Guibereau.
Seule condition pour être publié : un engagement clair. Car Courts Bouillon met en avant des créations qui assument un discours politique, à l’image de la maison d’édition Bandes détournées, récemment mise à l’honneur dans l’une de leurs newsletters.
Au-delà de ce rendez-vous bimensuel, Quentin Guibereau et Floriane Candelon animent également un compte Instagram, pensé comme un prolongement du média. « Alors que la newsletter est un produit éditorial, Instagram nous permet de relayer un contenu, des vidéos, des analyses critiques, que l’on ne pourrait pas développer dans la newsletter », expliquent-ils.
En s’appuyant sur la complémentarité de ces deux supports, Quentin Guibereau et Floriane Candelon consolident peu à peu leur démarche, avant d’envisager de nouveaux développements. Car, pour l’heure, les deux journalistes-éditeurs tiennent à rester seuls aux commandes, afin de préserver une démarche incarnée, à taille humaine. À rebours d’un secteur qui tend à se concentrer.
« On a l’impression d'être dans un moment où les gens ont besoin de davantage de radicalité. Pour nous, c’était le moment parfait pour se lancer. On y va, on tente, on n’a pas grand-chose à perdre », explique Quentin Guibereau. Et Floriane Candelon de confirmer : « On vit un moment de crise, les gens sont en colère dans la France de Macron. L’idée, c’est donc de relayer cette colère et de permettre aux artistes de l’exprimer, avec des projets éditoriaux multiples, radicaux et porteurs d'autres imaginaires. »
