Ce sont deux genres en soi, même si l'un procède de l'autre. D'abord le roman d'espionnage, disons traditionnel, ses codes, ses passages obligés, ses brumes posées sur le réel. Ensuite, le récit géopolitique post-11 Septembre, dans lequel l'espionnage joue un rôle éminent aussi, de la superpuissance américaine en crise d'identité d'abord. Résultat : pour de rares bons livres, nombre de « blockbusters » plus ou moins bien fichus, destinés à un lectorat de plage et à une consommation rapide.
On rentre dans Rouge blanc bleu, le deuxième roman de Lea Carpenter traduit en français après Onze jours (Gallmeister, 2018) avec l'idée qu'il doit s'agir de quelque chose de ce genre. Fausse route et magnifique surprise : c'est en la matière le livre le plus inattendu, complexe dans le meilleur sens du terme et réussi depuis bien longtemps. En même temps qu'un magnifique chant d'amour pour un père disparu.
Anna, jeune femme d'une trentaine d'années, aime à l'infini son père, Noel, banquier new-yorkais, (dont le lecteur découvrira avant elle qu'il est aussi un éminent membre de la CIA, spécialiste de l'Asie), qui le lui rend bien. La mère, Lulu, trop seule ou trop frivole, est partie courir les endroits où s'épanouissent les heureux du monde, les laissant seuls dans une relation discrètement fusionnelle. Anna est fiancée avec un producteur de musique, mais la veille de la cérémonie, son père est emporté par une avalanche dans les Alpes suisses. Ce sera durant sa lune de miel, quelque part sur la Côte d'Azur, qu'Anna rencontrera un homme qui va déchirer pour elle le rideau de la vie cachée du défunt et la placer à son tour dans une situation où elle va enfin devoir faire de vrais choix. Elle avait toujours cru que son père et elle c'était autre chose, elle s'aperçoit que c'est le monde entier qui l'est, réseau inextricable de causes, de conséquences et de fausses coïncidences.
Rouge blanc bleu est composé de courts chapitres où s'entremêlent l'histoire de Noel, celle d'Anna et celle des « procédures » qui conduisent à intégrer la centrale américaine de renseignements de Langley. Chaque fois, le mystère paraît s'épaissir, il est chaque fois plus fascinant. Lea Carpenter fait de son roman un enjeu où se côtoient des questionnements à la fois métaphysiques et aussi infiniment plus personnels. Le motif caché dans le tapis, finalement, c'est l'amour. La dernière question.
Rouge blanc bleu - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons
Gallmeister
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 23 euris ; 336 p.
ISBN: 9782351782057