Imagine-t-on un bibliothécaire se prononcer publiquement en défaveur d’un parti politique ? Des élèves de l’Institut national des études territoriales (Inet) appellent en tout cas les agents publics à voter contre l’extrême droite. « Parce que nous sommes des fonctionnaires-citoyens libres de leur expression, nous ne pouvons pas demeurer silencieux face à cette menace et réaffirmons notre attachement viscéral aux valeurs de liberté, d’égalité, de dignité et de solidarité qui caractérisent le service public », expliquent-ils dans leur pétition.
Avec + de 70 collègues élèves-fonctionnaires, j'ai signé cette tribune qui rappelle qu'aucun programme d'extrême droite n'est compatible avec les valeurs fondamentales du #ServicePublic, et encore moins des #bibliothèques. A suivre sur @Lagazettefr https://t.co/X3qeAoCvAU
— Maël Rannou 🇪🇺 (@MaelRannou) June 20, 2024
« L’une des valeurs cardinales du service public est l’égalité de traitement, quelles que soient les origines, quel que soit le territoire. Ce service public pour toutes et tous s’oppose à la logique de préférence nationale et de discriminations généralisées qui guiderait les politiques publiques sous l’impulsion d’un gouvernement dirigé par l’extrême droite », poursuivent les signataires. Qui ajoutent que « le service public garantit la non-discrimination dans l’accès aux services et à l’emploi publics, quels que soient l’origine réelle ou supposée, le genre, l’orientation sexuelle, le handicap » et qu’il est « essentiel pour protéger les plus vulnérables face au choc climatique et pour mener à bien la transition écologique, et ce alors que l’extrême droite nie la réalité du dérèglement climatique. »
Violation du devoir de réserve ?
Mais un fonctionnaire a-t-il le droit de se prononcer de la sorte ? « L’obligation de réserve est une construction essentiellement jurisprudentielle qui incite les fonctionnaires et assimilés à faire preuve de modération dans la manière dont ils ou elles expriment leurs opinions », nous explique Anne-Marie Vaillant, vice-présidente de l’Association des bibliothécaires de France (ABF).
Le devoir de réserve, qui s’applique pendant et en dehors du temps de travail selon le site du service public français, est à distinguer du devoir de neutralité. « Ce devoir de neutralité, plus strict, empêche les fonctionnaires ou assimilés de manifester, dans le cadre de leur travail, des opinions qui seraient de nature à faire douter de la neutralité du service public », poursuit-elle. La loi de décembre 2021 dispose ainsi que les missions des fonctionnaires doivent s’exercer dans le cadre du « respect des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, d'égalité d'accès au service public et de mutabilité et de neutralité du service public ».
Mais il faut ajouter cette troisième donnée : la liberté d’opinion. Et « cette tribune s'inscrit, comme beaucoup d’autres, dans le cadre de la liberté d'opinion qui est, quant à elle, garantie aux agents publics », conclut la représentante de l’ABF, mentionnant le code général de la fonction publique, article L111-1.
Neutralité au sein de la bibliothèque
Un jeu d’équilibriste ? L’un des auteurs de la pétition, Maël Rannou, bibliothécaire et impliqué en politique, dans un article paru en 2020 dans Bibliothèque(s), dissocie son temps de travail et le temps pour la politique. « Des usagers me questionnent, notamment en période d’élection, et là j’avoue frémir ! En bon fonctionnaire, je demande à changer de sujet dans ce lieu, mais c’est dans ces moments que l’on voit que la frontière est floue pour tous », témoigne-t-il. Mais impossible d’être irréprochable. « Je mentirai en disant que mon implication militante n’a aucun impact sur le fonds, simplement parce que je ne crois pas à la neutralité absolue », précise-t-il. Et de conclure que « parti Vert ou non, je reste un militant de la lecture publique ».
La fonction publique, à l'image de la société dans son ensemble, est quoi qu'il en soit traversée par les mêmes courants. En 2022, lors de l’élection présidentielle, 36 % des fonctionnaires territoriaux s’étant déplacés aux urnes avaient donné leur voix aux candidats d’extrême droite.