Les affaires de plagiat reviennent à un rythme régulier. Un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout : à chacun d'interpréter l'ampleur de la faute, et au juge en particulier lorsqu'il y a lieu. Le plagiat constitue assez bien ce que les économistes désignent comme une situation d'asymétrie informationnelle : le lecteur/acheteur ne sait pas si l'auteur est bien l'auteur, mais ce dernier (et peut-être son éditeur) le sait. Le risque pour le lecteur est, pour parler simplement, la tromperie sur la marchandise. Dans un article parmi les plus cités en économie, George Akerlof décrit ainsi le marché des « lemons », en l'occurrence celui des voitures d'occasion (pardon pour la comparaison) [George A. Akerlof G.A. "The Market for Lemons: Quality, Uncertainty and the Market Mechanism", The Quarterly Journal of Economics , 84 1970, pp. 488-500.] Imaginons une situation aux termes de laquelle je souhaite acheter une voiture d'occasion. Je rencontre un vendeur, la voiture semble de bonne qualité, mais seul le vendeur en connait l'état véritable. Si je l'achète, je prends le risque de me retrouver avec une voiture défectueuse ou qui démarre mal le matin, malgré les dénégations de son propriétaire. Je réclame donc une prime de risque, autrement dit une ristourne sur le prix, au cas où mon vendeur serait de mauvaise foi et que, croyant acquérir une bonne voiture, je me retrouve avec un « lemon » ... Akerlof pointe les dangers de ce genre de marché : les « bons » vendeurs de bonne foi, devant assumer cette ristourne, renoncent à vendre leur voiture, et ne restent sur le marché que les vendeurs malhonnêtes et les voitures qui roulent ou démarrent mal le matin .... Le marché est voué à disparaitre, sauf s'il est régulé de façon efficace (par l'introduction d'une expertise obligatoire par exemple). Revenons-en au livre. Le marché devrait bouder les œuvres de l'auteur peu scrupuleux, plagiaire permanent ou même simplement intermittent. Ce dernier serait forcé de solder ses œuvres complètes ... La sanction du plagiaire devrait donc venir du marché : " autrefois vous copiiez ? Eh bien dansez maintenant. Car les lecteurs ne veulent plus de vous ." L'histoire est un peu plus compliquée que cela. Pour deux raisons. La première est très simple : il y a plagiat de masse, et plagiat marginal. Le livre entièrement repris, c'est insupportable. Les emprunts sont plus tolérables. Même si l'on est en droit de préférer un comportement sans faille. La seconde est plus triviale encore. Disons-le : le lecteur/acheteur est plutôt indulgent. Dans le fond, ce qui lui importe, c'est ce qu'il dévore, et il est moins regardant sur la recette du gâteau qu'il s'apprête à consommer. Nombreux sont ceux qui nous rappellent à juste titre que le plagiat est une affaire vieille comme la littérature [Hélène Maurel-Indart, Du plagiat , Gallimard, 2011], et que les auteurs, les éditeurs, les lecteurs ne s'en plaignent pas plus que ça. Pas de sanction du marché. Pourquoi donc s'inquiéter d'un couper-coller malencontreux et presque malgré soi ? Reste l'auteur face à lui-même. A lui de savoir citer ses sources. "When a scholar aknowledges all his sources, he brings the day of redemption a little closer" (Talmud, cité en épigraphe par Michael Walzer, Spheres of Justice - A defense of pluralism and equality, Basic Books, 1983).
15.10 2013

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