Éditer dans les Outre-mer s'apparente bien souvent à un parcours du combattant. Cyclone Chido à Mayotte, émeutes en Nouvelle-Calédonie, grèves et blocages en Martinique ou Guadeloupe… les Outre-mer sont régulièrement en proie aux aléas climatiques, sociaux et politiques. Les maisons d’édition locales, dont les principaux marchés sont insulaires, n’y échappent pas. Yannick Jan, directeur néo-calédonien d’O’Éditions Pacifique Sud, résume : « Les insurrections populaires des deux dernières années ont brûlé plus de 1 000 entreprises. Nos ventes ont chuté de 40 %. »
Aléas multiples
À Mayotte, la situation est encore plus complexe deux mois après le passage du cyclone dévastateur. Vincent Lahoche, directeur de l’Agence régionale du livre et de la lecture du département de l’Océan Indien, développe : « L’accès à l’eau est toujours un problème majeur. Alors que 90 % des livres sont lus en bibliothèque, les dégâts y sont estimés à plus de 500 000 euros. » Nassuf Djailani, fondateur de Project’îles, l’une des deux maisons d’édition mahoraises, appuie : « Si je n’avais pas un siège social en métropole, j'aurais été très fragilisé. »
« Chaque mouvement social est synonyme de perte du pouvoir d’achat et donc de baisse de ventes de livres », souligne Florent Charbonnier, directeur de Caraïbéditions, avant de se remémorer : « Il y a trois ans, le port de Martinique a été bloqué, les ouvrages prévus pour Noël ont été livrés en février. » Michel Michau des éditions Orphie ajoute : « Tous ces imprévus font partie de ce marché. »
Des marchés insulaires restreints
Encore faut-il ajouter les difficultés liées à l’exiguïté des territoires : pour y remédier, les éditeurs ont parfois deux sièges sociaux, en métropole et en Outre-mer, comme c’est le cas de Caraïbéditions et Project’îles. D’autres maisons ont leur base en métropole, à l’instar de Scitep et Hervé Chopin, avec un chiffre d'affaires majoritairement hexagonal. Enfin, un troisième fonctionnement éditorial repose sur une implantation exclusivement locale.
Ce dernier modèle n’est pas toujours tenable, comme le rappelle Caroline Dujardin, des éditions miquelonnaise Mon autre France : « L’archipel accueille 5 000 habitants, c’est un village qui n’a qu’une seule librairie. Impossible d’en vivre ! » En Guyane et à Mayotte, une part importante de la population est clandestine ou très jeune et n’a pas « les moyens d’acheter du livre » synthétise Vincent Lahoche. Résultat, « seulement six librairies restent ouvertes pour un territoire aussi grand que le Portugal », se désole Mathias Aubry-Rakowski, des éditions mahoraises Mahury.
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De plus, pour acheter ces livres dans les territoires ultra-marins, les éditions comptent sur les librairies indépendantes. Or, beaucoup ont disparu ces dernières années. « En 28 ans, plus de 50 % des librairies généralistes en Guadeloupe ont fermé et plus de 75 % en Martinique, c’est bien plus qu’en métropole », explique Thierry Petit Le Brun, éditeur guadeloupéen depuis 1997. À l’inverse, la Réunion et son dynamisme éditorial peuvent compter sur « 26 librairies indépendantes et 77 médiathèques », selon Katia Leloutre, conseillère au Livre de la Direction des affaires culturelles de la Réunion.
Alors, pour être à l’équilibre, les maisons d’édition multiplient les points de vente : « On est aussi disponibles en grandes et moyennes surfaces ou en boutiques artisanales et touristiques », détaille Michel Michau, éditeur dans les Antilles, en Guyane et à Mayotte. Idem en Polynésie où la directrice à la Direction de la culture du gouvernement régional, Joany Hapaitahaa-Cadousteau souligne : « Il n’existe plus qu’une seule librairie, alors les éditeurs ont des “coins librairies” un peu partout. »
Organisation complexe et surcoûts
Autre solution : « Exporter » dans l’Hexagone, ce qui suppose de doubler ou tripler ses diffuseurs et ses points de stock. Christian Robert, directeur des éditions polynésiennes Au vent des îles, détaille cette organisation complexe : « Depuis 2020, Harmonia Mundi distribue mes ouvrages en France métropolitaine, c’est un choix éditorial qui nécessite des moyens. Après les impressions en France, Chine, ou Europe de l’Est, les ouvrages vont directement dans l’un des trois points de stock à Arles (Harmonia Mundi), en Polynésie (auto-distribution) ou en Nouvelle Calédonie (Book’In). »
Les surcoûts sont réels : « Les éditeurs régionaux n’ont pas le droit au fret subventionné pour exporter en France hexagonale, comme les éditions métropolitaines l’ont vers les Outre-mer », se désole Thierry Petit Le Brun. Olivier Aristide, directeur de la Centrale de l’édition confirme : « Rien n’a été prévu sur le financement des maisons d’édition des DROMs vers la métropole lors de la mise en place de la subvention Transport. »