Le manque de visibilité dans l’Hexagone est une réalité constante pour les éditeurs des Outre-mer. Pour Caroline Dujardin, la prise de conscience est arrivée lors de l’édition 2018 de Livre Paris (aujourd’hui Festival du livre de Paris) : alors de son passage au Pavillon Outre-mer de l'événement, la fondatrice de la maison d’édition miquelonnaise Mon Autre France découvre avec étonnement qu’aucune structure ne représente l’archipel. En 2020, elle monte alors la première et seule maison édition de Saint-Pierre-et-Miquelon – qui était présente à l’édition 2025 du rendez-vous parisien. Une success story singulière dans un paysage éditorial des Outre-mer marqué par des réalités très contrastées.
Si plusieurs éditeurs ultramarins sont membres du Syndicat national de l’édition, il existe la plupart du temps des structures interprofessionnelles à l’échelle de chaque territoire. À La Réunion, la conseillère Livre à la Direction des affaires culturelles (DAC) Katia Leloutre signale ainsi « un secteur dynamique et créatif de 39 maisons d’édition », tout en rappelant le rôle joué par l’association interprofessionnelle La Réunion des Livres, créée en 2007. Dans le Pacifique, la Maison du Livre de Nouvelle-Calédonie a émergé la même année. Avant les mouvements sociaux de 2024, elle comptait huit éditions publiques et privées.
Réseaux locaux
En Polynésie, sept maisons d’édition se sont rassemblées sous l’association Lire en Polynésie à l’initiative du fondateur de la maison Au vent des îles, Christian Robert. « Créée en 1990, la maison d’édition est l’une des plus anciennes des Outre-mer avec plus de 300 titres à travers toute la région Pacifique », nous fait savoir son dirigeant. En Guyane, depuis 2015, l’association Miti-Frall regroupe sept éditeurs dont un à compte d’auteur. « La Région Guyane, investie dans le développement du livre, soutient les éditeurs dans leur mise en valeur du patrimoine guyanais », précise Mylène de Fabrique Saint-Tours, fondatrice de Scitep Éditions, basées dans l’Hexagone mais en lien avec les Antilles-Guyane. À Mayotte, deux maisons d’édition se partagent le territoire et sont soutenues par l’Agence régionale du Livre et de la Lecture : l’une est 100 % locale, l’autre à cheval entre la métropole (Limoges) et Mayotte (Chiconi).
Un partage de territoires auquel les Antilles françaises n’échappent pas. Six maisons d’édition travaillent en Martinique, et neuf en Guadeloupe selon les chiffres de la DAC, ainsi qu’une associative à Saint-Martin. Il n’existe en revanche pas d’association rassemblant les éditeurs antillais. « J’ai essayé pendant 30 ans de fédérer en créant une structure commune, en vain », regrette Thierry Petit Le Brun, fondateur guadeloupéen de PLB Éditions. La majorité d’entre elles, comme Caraïbéditions, Orphie ou Hervé Chopin, travaillent en effet dans les Antilles mais aussi en Guyane.
Mettre en lumière des territoires, des auteurs et des littératures
Bien souvent, créer sa maison d’édition en Outre-mer répond à des besoins particuliers. Pour Mylène de Fabrique Saint-Tours, qui a créé Scitep en 2011, il s’agissait de « combler une lacune de la vulgarisation scientifique, qui ne traitait quasiment pas de sujets spécifiquement locaux. » Aujourd’hui, l’éditrice publie des ouvrages documentaires et de sciences humaines sur des thématiques régionales. Même approche pour les collections jeunesse de Caraïbéditions où les jeunes protagonistes explorent la mangrove lors de leurs vacances scolaires, « plus proche de leur quotidien que le départ en train pour les stations de ski de la métropole. »
L’ensemble des maisons souhaitent mettre en lumière une richesse littéraire encore trop méconnue, voire méprisée par le public hexagonal. « Je cherchais des livres sur la Guyane dans une librairie parisienne et on m’a conseillé d’aller au rayon Afrique », retrace Mathias Aubry-Rakowski, directeur des éditions guyanaises Mahury.
Les langues créoles régionales jouent aussi un rôle important dans la publication des ouvrages. Caraïbéditions a traduit en créole des auteurs aussi variés que Céline, Annie Ernaux et Titeuf. Une demande qui vient directement des lecteurs locaux. Michael Michau, d’Orphie éditions, confirme : « Longtemps, il était interdit d’enseigner ou de parler le créole, aujourd’hui ce sont des langues régionales reconnues. Nous travaillons avec le monde de l’enseignement pour créer des supports bilingues franco-créole adaptés. »
Des salons et des livres
Pour comprendre l’envergure de l’édition franco-créole, il faut aussi prendre en compte les salons du livre, souvent organisés par les maisons elles-mêmes ou par les politiques locales. « Trois salons littéraires : un de jeunesse, un local et un plus important à l’échelle de l’Océan Indien sont organisés régulièrement », détaille Michael Michau, directeur général d’Orphie. En novembre prochain, le salon Lire en Polynésie, initié par Christian Robert, fêtera ses 25 ans autour d’auteurs venus de tout le Pacifique, tandis que le festival du livre international de Guyane a récemment célébré sa 13ᵉ édition.
Enfin en Nouvelle-Calédonie, « le Salon International du Livre Océanien est un événement très important pour la filière du livre depuis 2003, avec des invités de marque comme Le Clézio ou Alice Zeniter », conclut Liliane Tauru, présidente de la Maison du livre de Nouvelle-Calédonie, avant de préciser : Espérons qu’il perdure… »
Retrouvez demain sur livreshebdo.fr le second volet de notre enquête sur l'édition d'Outre-mer.