« J'ai relu Madame Bovary. Quel drôle de livre ! Il est censé parler d'amour et on n'y trouve qu'argent, dettes et vaines préoccupations. Tu sais [...], j'aimerais comprendre l'amour. L'amour en général, et entre les hommes et les femmes. » Katia ne relève pas spécialement la remarque de Gueorgui Ivanovitch, son père, avec lequel elle apprécie tant de passer des moments, quoique d'habitude il soit taiseux. L'ancien professeur de mathématiques est invalide depuis un accident il y a deux ans - un éboulement de tronçons de bois, lors d'un chantier où il était venu donner un coup de main. L'amour, pour la jeune fille, n'est pas la priorité, pourtant elle est la grâce incarnée, le genre à qui tout le monde sourit, même les revêches babouchkas. Pas le temps sûrement, entre aider maman partie tôt travailler à la poissonnerie de Beloretchensk, s'occuper de son paternel handicapé et son petit frère, et un boulot en plus, Katia voit son quotidien oppressé par la question matérielle. L'autre frère Fyodor est en prison. Comment payer l'opération du père ? Vendre un rein ? Faire du porno. En Sibérie post-soviétique, le seul horizon est celui qu'offre un ciel glacé.
Nastia, « fameuse beauté de la ville », sa grande cousine, le sait, qui ne cesse de répéter qu'elle va partir à Moscou : là-bas c'est le confort moderne, l'eau courante,« tandis qu'ici on se torche avec de la paille ». A Moscou, on gagne bien sa vie, même si tu es serveuse : « entre trente et soixante-dix mille roubles, sans compter les pourboires », insiste Nastia. Elle n'arrive toutefois pas à venir à bout des réticences de sa tante Irina qui ne veut pas laisser sa fille partir avec elle. Nastia va convaincre Katia directement. Ainsi commencent les tribulations des jeunes Sibériennes à Moscou, Devouchki, le nouveau roman de Victor Remizov. L'auteur de Volia Volnaïa décline à nouveau le thème de la liberté aux prises avec la dureté sociale, entre misère et corruption. Au-delà du faste de la métropole, la jungle de la réalité moscovite... L'écrivain russe a tendu un piège à ses protagonistes en forme de miroir aux alouettes, ou plutôt oies blanches de Sibérie, lesquelles risqueraient bien d'y perdre des plumes.
Devouchki
Belfond
Tirage: 5 000 EX.
Prix: 21 EUROS ; 400 P.
ISBN: 9782714478559