Etats des lieux
Si chacun a d'abord fait un court état des lieux de son marché respectif, les trois professionnels ont ensuite pu discuter autour de problématiques communes à l'ensemble des marchés européens, revenant évidemment sur la domination d'Amazon. "La tendance, a expliqué le Britannique Michael Bhaskar, cofondateur de Canelo Digital Publishing, est au consommateur hybride. Aujourd'hui, aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, les lecteurs ne disent presque plus qu'ils sont lecteurs papier ou lecteurs d'e-books. La différence est quasiment effacée, on est lecteur, c'est tout."
Cette vision est partagée par l'Allemand Jens Klingelhöfer, directeur de la société de distribution numérique Bookwire GmbH. "On ne dit plus désormais que les ventes d'e-books érodent les ventes de livres papier, souligne-t-il. L'industrie du livre européenne ne doit voir le livre numérique que comme un moyen d'augmenter les ventes globales. L'édition numérique n'est qu'une opportunité de vente supplémentaire, pas un marché parallèle". "Tout est bon à prendre du moment que cela fait lire plus le public", a renchéri le consultant Italien en innovation et en édition Marcello Vena, mettant par ailleurs en relief les similarités des marchés français et italien.
Une vision commune
L'éditeur anglais a montré son enthousiasme et son optimisme pour l'avenir du marché : "Un million de nouveaux livres papier sortent chaque année en anglais, ce qui correspond à un million de nouvelles opportunités excitantes." Et pour faire progresser le marché aujourd'hui, les trois professionnels du livre numérique sont d'accord sur la nécessité d'élargir l'audience, plutôt que vendre plus aux lecteurs numériques déjà conquis.
"Nous n'en sommes encore qu'aux débuts de l'invention de l'avenir de la lecture", a estimé Jens Klingelhöfer. "Les éditeurs européens ont encore beaucoup de chemin à faire pour changer et inventer les nouveaux moyens de diffusion de la lecture numérique, qui sera de plus en plus multicanals."
Parmi les pistes d'innovation citées : les communautés de lecteurs et leurs pouvoirs de recommandations, ou encore la lecture sur mobile, déjà très implantées dans le monde anglo-saxon."C'est la recherche de simplicité qui doit dans tous les cas guider nos choix et nos initiatives, a insisté Michael Bhaskar, par ailleurs créateur ces dernières années de plusieurs applications de lecture mobile. L'utilisateur ne demande que de la simplicité."
Une vision européenne commune est, dans les faits, voulue et possible, malgré les différences d'achat et de pratique des lecteurs numériques européens. "Nous avons toutes les clefs en mains pour nous allier et bâtir un marché du livre numérique européen commun", a assuré, optimiste, Jens Klingelhöfer. Le but recherché étant de contre-balancer la "domination du monde" des grandes compagnies américaines, pointée ironiquement par Michael Bhaskar. "Le marché européen a une potentialité énorme qui est sous-exploitée", a de son côté constaté Marcello Vena.
Pour faire de ces vœux une réalité, les trois intervenants envisagent deux clefs : l'innovation constante d'une part, et une véritable mise en commun politique d'autre part. D'après Jens Klingelhöfer, "Nous devons ensemble bâtir l'idée d'une consommation de la lecture numérique européenne, pour nous différencier des Américains et prendre un angle différent, ensemble. Cela passe par des décisions politiques et par la réduction des limitations, pays par pays."