Un beau jour de mai, Joseph craque. En douceur, mais il craque. Il se sent de plus en plus inadapté au monde dans lequel il est contraint de vivre. "Un macaque perdu", dit-il. A 37 ans, il est assistant bibliothécaire dans un collège, payé 8 euros de l’heure. Sa copine l’a plaqué. Et, surtout, Noé, leur fils, la prunelle de ses yeux, vient de partir chez sa mère pour quelques jours.
Alors Joseph lâche prise. Il se fait porter pâle au boulot, et passe en mode régressif : après avoir fait de solides réserves au supermarché (un univers impitoyable aux faibles et aux pauvres), il s’installe dans la cabane de Noé, tout en haut d’un cerisier d’un mètre cinquante, avec de la nourriture, de l’alcool, des cigares, et Odile, la tortue de terre du gamin, opportunément sortie de son hibernation. Là, il se prend pour le baron perché, Tarzan ou le dernier des Mohicans, relit les aventures de Rahan, fils de Craô, le héros préhistorique qui a enchanté les mercredis de tas de fans, dans Pif Gadget. Lorsqu’il sortira en ville, un soir de beuverie, il n’aura pour seul compagnon - outre Odile, qu’il trimbale partout avec lui, mais une tortue, ce n’est pas très bavard -, Robinson le SDF, un ancien charpentier handicapé suite à un accident, qui crèche en solitaire tout en haut d’une église-forteresse où il invite Joseph. Ces deux-là étaient faits pour se trouver.
Et puis arrive "la voisine à la flûte traversière", que Joseph a déjà remarquée du haut de sa cabane, et dont il fait la connaissance un jour dans un parc. Elle s’appelle Lilith, elle n’est pas au mieux non plus. Son copain, un type violent, vient de la quitter. Ils sympathisent, et plus si affinités, du moins on l’imagine. Car Thomas Vinau et son narrateur arrêtent leur histoire juste au moment où Noé, tout content, téléphone à son père son retour, en compagnie d’un hérisson plein de puces !
Composé, comme à l’habitude du romancier, en brefs chapitres, autant de saynètes voire de poèmes en prose, servi par un style élégant, limpide, volontiers énumératif, La part des nuages est un joli conte contemporain doux-amer, où l’humour accompagne la révolte. Joseph, le héros, est un personnage fort attachant, dont on imagine qu’il reflète un certain nombre d’expériences, d’opinions, de colères de l’auteur. Un livre optimiste, puisque, à la fin, les nuages qui se sont amoncelés dans le ciel de Joseph se dissipent d’un coup, et qu’il semble prêt à "refaire sa vie", comme on dit.
Jean-Claude Perrier