Vous mettez une photo de l'auteur, la couv' le plus gros possible et des citations de presse." Difficile de sortir de ce credo, imposé par les maisons d'édition, qui n'hésitent pas à choisir photos et citations. Marie-Annick Giraud, directrice de l'agence Rive gauche, se bat depuis vingt ans contre les diktats de ses clients du monde de l'édition et "l'aspect panégyrique" de l'accumulation de textes sur les visuels. Pour En douceur de Jean-Marie Laclavetine, elle se souvient d'avoir proposé pour le pavé de la une du Monde la première phrase du livre qu'elle récite de mémoire : "D'un tempérament doux, Vincent Artus, n'avait jamais tué que sa femme." Mais Gallimard avait alors refusé, préférant utiliser une photographie de l'auteur, pourtant alors inconnu. "Et cette première phrase a été relevée par tous les journalistes qui ont parlé de ce livre", raconte-t-elle avec un brun d'amertume. Désormais son "combat" est d'arriver à placer un court extrait du texte, "une sorte de petite piste énigmatique, c'est la moindre des choses".
Le plus souvent, les réactions de ses clients - "c'est indigne !" ou "c'est trop publicitaire" - l'obligent "à prendre l'accroche la moins publicitaire possible, la plus lisse et consensuelle". Marie-Annick Giraud insiste aussi sur la pression qu'exercent certains auteurs sur la création d'une campagne. "C'est une véritable comédie littéraire, pour reprendre le titre de Frédéric Ferney", de devoir concilier la personnalité de l'auteur, ses liens avec les directeurs des médias, la critique littéraire, sans oublier ses affinités avec les autres écrivains annoncés... "Il faut argumenter et même se disputer pour leur faire accepter des choses un peu plus culottées", déplore-t-elle.
Emmanuelle Rinn, directrice associée de l'agence Curieuse créée il y a six ans, assure, elle, qu'elle décide d'"un parti pris" avec ses deux associés dès la commande : mettre en avant l'auteur dans le cas d'un prix, le nom de la collection ou alors le titre de l'ouvrage. Dans ce dernier cas, elle évoque la publicité de Sur ma peau, le roman "très trash" de Gillian Flynn sur la scarification chez Calmann-Lévy. "Sur le ventre d'un corps de femme, nous avons écrit "Attention polar à vif" comme si c'était fait au rasoir, un élément qui se trouve sur la couverture du livre en dessous." En fait, "on ne vend pas un livre, mais un univers, assure-t-elle. Ce n'est pas raconter l'histoire qui est intéressant, mais trouver le bénéfice de lecture, l'aspérité réelle ou latente du livre que l'on va mettre en évidence".
FACEBOOK, TWEETER, BLOG
>C'est la stratégie exploitée pour le lancement en 2008 de la trilogie de Sean Stewart et Jordan Weisman chez Bayard Jeunesse, dont le dernier tome, Cathy's Ring, est paru fin 2010 : "Le personnage de Cathy a été totalement incarné à travers une page Facebook, un compte Twitter, un blog, un répondeur téléphonique...", des outils interactifs mis en place et tenus par l'agence Curieuse. >Car aujourd'hui, "on a quitté la 2D pour un monde parallèle au livre auquel les jeunes se prennent au jeu même s'ils savent que c'est virtuel", explique >Emmanuelle Rinn. Les cibles jeunesse et jeunes adultes sur lesquelles elle s'est spécialisée ont un net avantage : "Les éditeurs ont conscience de promouvoir des produits marketés", reconnaît-elle, et lui laissent ainsi une entière liberté.
Pour Milou-Dufay & Associés, sur le créneau de la publicité littéraire depuis l'an 2000, à chaque campagne il s'agit de résoudre "un véritable casse-tête chinois". D'une seule voix, Jean-Marie Milou et Arnaud Dufay s'expliquent : "Il faut mettre beaucoup de créativité dans une pub littéraire pour qu'elle ait juste l'air d'une pub normale." Leurs méthodes varient. "Rebondir sur l'actualité" par exemple, telle l'accroche : "Que fait la police ?/Rien ne va plus en Belgique", dans le cas de la publicité pour le volume 6 de la saga du commissaire Van In de Pieter Aspe, lors de sa parution en juin 2010 (Albin Michel) alors que le pays était au début de sa crise politique. Toutefois, les deux acolytes avertissent que "le petit slogan qui claque" n'est pas indispensable, "les meilleures publicités sont silencieuses et c'est une tendance depuis cinq ou six ans". Tout se joue dans le choix du code graphique. Ainsi, Arnaud Dufay évoque la couleur rouge du filet encadrant les visuels de Grasset ou le choix des gros caractères pour les citations centrées au-dessus des couvertures de livres.
Pour autant, lors de la rentrée littéraire, il leur arrive d'"attendre septembre" et de proposer des campagnes textuelles faites de citations presse "pour convaincre les jurés des prix". Quant aux spots radio, l'avis des associés est tranché, ils doivent "paradoxalement" promouvoir des auteurs connus "afin d'être visualisables par les auditeurs et mémorisés". Ces "bandes-annonces au rabais" que sont pour eux les "trailers" sur Internet posent en revanche la question de "la valeur créative que peut et doit apporter une agence de publicité".
Si Marie-Annick Giraud concède à ses 70 créatifs l'idée qu'elle fait davantage d'"information littéraire" que de publicité, elle et ses confrères sont attentifs à l'évolution de leur secteur d'activité. C'est pourquoi Milou-Dufay & Associés viennent de créer un blog (1) consacré à la communication littéraire et culturelle pour "rester en éveil sur la publicité qui buzze". Depuis six mois, ils recensent des campagnes françaises comme celle, "très jolie", pour Le goût des pépins de pomme de Katharina Hagena (Anne Carrière) parue dans Le Point, et étrangères comme celle qu'ils qualifient de "meilleure campagne 2010" pour Jay-Z decoded du rappeur américain Jay-Z, déployée dans tous les lieux évoqués dans sa biographie. Un blog en réponse "au conformisme du monde de l'édition qui sait, aussi, accepter une part de créativité étonnante".
(1) www.lisezmoi.net.