Après vingt ans de débats

Lancement de Filéas, structure interprofessionnelle du livre unique au monde

L'Assemblée générale constitutive de Fileas s'est tenue au Syndicat National de l'Edition ce 20 décembre 2024 - Photo HC

Lancement de Filéas, structure interprofessionnelle du livre unique au monde

Après deux décennies de débats, la structure Filéas a été créée. Elle offrira dès avril prochain un rapport hebdomadaire des ventes, mis à disposition gratuitement aux auteurs, puis un indicateur quotidien d’ici la fin de l’année 2025, avec la possibilité pour les éditeurs d’apprécier le taux d’écoulement cumulé des stocks de leurs ouvrages en librairie.

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Par Éric Dupuy
Créé le 20.12.2024 à 12h53

Cette fois, c’est lancé. La société Filéas (pour Fils d’Informations Libraires, Éditeurs, AuteurS), dédiée au suivi des ventes de livres et au service de l’interprofession, est créée. Huit grands acteurs de la filière du livre (lire ci-après) ont signé les statuts de la SAS « à mission » ce vendredi 20 décembre.

Porté par le Syndicat national de l’édition (SNE), avec le soutien des libraires indépendants et représentants d’auteurs (du SLF, du Conseil permanent des écrivains et de la Société des gens de lettres notamment), et soutenu en partie par la Sofia et des fonds publics, Filéas ambitionne de fournir aux auteurs et éditeurs des données fiables sur les ventes de leurs ouvrages de manière hebdomadaire dès avril, puis quotidienne dès la fin d’année 2025.

Une transparence inédite pour les auteurs

« Je ne connais pas d’équivalent actuellement dans le monde » s’enthousiasme Renaud Lefebvre, directeur général du SNE, qui reconnaît : « On était en retard sur le sujet mais à partir de maintenant on prend de l’avance ».

Autour de la table du lancement de la structure dont le conseil d’administration sera présidé par Alban Cerisier, représentant du SNE et secrétaire général des éditions Gallimard, figurent de nombreux organismes interprofessionnels. « On s’appuie sur un socle solide de représentants de l’interprofession du livre pour ouvrir ce nouveau service qui sera dédié à la fourniture d’une donnée de vente globale par ouvrage, tous points de vente confondus », explique à Livres Hebdo ce dernier. « Les libraires jouent le jeu, d’autres viendront, et nous pouvons leur en être reconnaissants. C’est le sens de l’histoire. »

La plateforme sécurisée s’appuiera sur des outils éprouvés, avec « une structure ad hoc », précise Harriet Seegmuller, directrice et pour l’instant unique salariée de la structure. GfK fournira au lancement de la plateforme un flux hebdomadaire consolidé et extrapolé, couvrant chaînes, hypermarchés et librairies indépendantes.

Filéas logo
Logo de Filéas

Ce flux sera enrichi dans un second temps par les données quotidiennes de l’Observatoire de la librairie (un dispositif alimenté par les remontées des libraires indépendants via Alire et le SLF). Un partenariat avec l’ADELC, présidée par Antoine Gallimard, sera aussi mis en œuvre. « Avec GfK et les flux des libraires, on couvre presque tout le marché, même si certaines ventes échappent encore au radar », résume Matthieu de Montchalin, président d’Alire, l’Association des librairies informatisées et utilisatrices de réseaux électroniques. Le système s’ouvrira par ailleurs à tout acteur de la filière consentant à apporter ses données. La Librairie Mollat a d’ores et déjà indiqué qu’elle rejoindra le dispositif.

Pour établir son référentiel « qui sera en constante évolution », assure Harriet Seegmuller, Filéas s’appuiera également sur les données du FEL (Fichier Exhaustif du Livre) et la base auteurs d’Electre (appartenant, comme Livres Hebdo, au Cercle de la Librairie).

Autour de la table de Filéas

Une société à mission

Afin de signifier la dimension d’intérêt général de ce projet et son caractère profondément interprofessionnel, un comité de mission (composé de représentants à parts égales des collèges auteurs, éditeurs, libraires et partenaires institutionnels - Sofia et pouvoirs publics) sera garant du respect et de la bonne conduite de ses missions. « La présidence du comité, tournante tous les deux ans, sera initiée par le collège auteur », promet Harriet Seegmuller qui précise que « ce comité devra se réunir au minimum deux fois par an ».  À son lancement, la structure dispose de 700 000 euros de capital social et prévoit « d’être à l’équilibre dans les cinq ans », assure Renaud Lefebvre.

Un indicateur global sur l’écoulement des stocks en librairies pour les éditeurs

Si les données de ventes hebdomadaires proposées ne vont pas révolutionner le quotidien des éditeurs qui ont déjà accès à GfK, les quotidiennes leur offriront une indication sur le rythme d'écoulement des stocks en librairie, ce qui est une innovation. « Cela permettra aux éditeurs d’identifier rapidement les ouvrages qui nécessitent un retirage », éclaire le directeur général du SNE, en rappelant le principe général d’anonymisation des points de ventes.

Les éditeurs auront accès à ce portail avec, comme pour chaque utilisateur, une vision de leurs seuls ouvrages. Contrairement aux auteurs pour qui le service sera gratuit, les éditeurs paieront un abonnement dont le pricing est encore à l’étude, mais « le coût, probablement proportionnel au catalogue, devra permettre à toutes les structures de pouvoir s’engager », fait part Renaud Lefebvre.

Une avancée majeure malgré les défis

Filéas est le fruit d’un travail acharné et de concessions importantes entre acteurs aux intérêts souvent divergents. Matthieu de Montchalin rappelle que la dernière tentative avait échoué faute de consensus. « Cette fois, on a choisi de se concentrer sur un premier étage de la fusée. Tout le monde est d’accord, et c’est déjà énorme. »

Le projet a également été pensé pour optimiser les coûts et s’appuyer sur des tiers de confiance. En capitalisant sur des infrastructures existantes, comme Dilicom pour la collecte des données, Filéas limite les frais, tout en assurant la sécurité des données. « Nous transmettons nos chiffres gratuitement, mais nous avons besoin de garanties sur leur fiabilité et leur confidentialité », insiste Matthieu de Montchalin.

Des enjeux cruciaux pour l’avenir

Pour la filière, Filéas représente plus qu’un simple outil technique. Il pose les bases d’une nouvelle dynamique collaborative, où la transparence pourrait devenir un levier stratégique. « Filéas, c’est un socle de départ, pas une fin en soi », insiste Matthieu de Montchalin.

À terme, la plateforme pourrait intégrer d’autres fonctionnalités, comme des analyses régionales ou des données sur les ventes en salon. Mais pour l’heure, ses promoteurs préfèrent avancer prudemment. « Cela fait plus de quinze ans qu’on en parle. Aujourd’hui, ce premier pas est une véritable avancée collective », résume Patrice Locmant, directeur général de la SGDL, dont les adhérents ont déjà accès à GfK au siège de la SGDL. « Avec Filéas, tous les auteurs pourront avoir accès gratuitement et quasiment en temps réel aux chiffres de vente de leurs livres », se réjouit-il.

Séverine Weiss, présidente du Conseil permanent des écrivains ajoute : « Nous sommes d’ores et déjà très impliqués dans la conception des interfaces pour que celles-ci soient le plus adaptées possible aux besoins des auteurs ».

Avec son lancement, Filéas offre un outil clé à des auteurs en forte demande de visibilité sur leurs ventes, en complément des redditions de comptes. Lors de l’assemblée générale constituante, Vincent Montagne, président du SNE, a déclaré « Ce projet trouve un aboutissement induit dans l’accord auteurs-éditeurs de 2013. Cela nous paraît très important. C’est aussi un formidable signe de solidarité de la filière ». Ce projet se distingue par son approche fédératrice, sa dimension interprofessionnelle, et sa volonté de combiner innovation technologique et responsabilité sociale et environnementale.

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