"Ce livre est le résultat de vingt-deux mille cinq cents kilomètres en selle et quatre années en bibliothèque." L'homme qui parle n'est pas cavalier. Il est cycliste. Accessoirement, il est aussi un historien réputé en Angleterre. L'année dernière, il avait publié Une histoire de Paris par ceux qui l'ont fait (Flammarion) qui avait reçu un bel accueil de la presse, des libraires et du public. Cette fois, il élargit son champ d'étude à la France tout entière, fruit de ses investigations livresques et de ses déambulations vélocipédiques dans l'Hexagone.
Buissonnière. L'épithète est bien choisie pour qualifier cette promenade chronologique et sentimentale qui nous emmène de la fin du règne de Louis XIV à la déclaration de la Première Guerre mondiale, de l'Ancien Régime jusqu'au moment où la France bascule dans la modernité via l'extrême violence des tranchées. Avec ce goût du récit qui a fondé sa notoriété, Graham Robb examine ces moments de ruptures.
Les deux parties du livre montrent deux France, celle d'avant le chemin de fer qui vivait sans avoir la notion de l'extérieur et celle d'après. Avant, c'est encore une France tribale. Les limites du canton forment le monde. L'instruction existe peu. L'ignorance est ainsi responsable au début des années 1740 de l'assassinat par des villageois d'Estables d'un jeune géomètre de l'expédition Cassini chargé de préparer le terrain à l'établissement de la première carte de France.
Il n'y a alors aucun sentiment identitaire national. Juste une sorte de patriotisme local. On est moins de la France que du pays : de Caux, de Bray, de Brie. Cela s'ouvre avec la Révolution, timidement. Mais, dans cette France à l'existence encore improbable, Graham Robb débusque des micro-batailles dont personne n'a entendu parler, comme ce conflit de village à Roquecézière, au XIXe siècle, à propos de l'orientation d'une statue de la Vierge. Il rappelle aussi cette "sorcière" livrée au bûcher à Beaumont-en-Cambrésis en 1835. "Si tous les récits tribaux étaient passés à la postérité, une histoire exhaustive des Français tels qu'ils se voyaient composerait une immense encyclopédie de micro-civilisations." Au fil des anecdotes, Robb chemine dans la France des musées de province, des habitations troglodytes, des souterrains, des cachots, des taudis ; une France qui peine et s'ennuie ; une France des églises, des calvaires et des saints ; une France dont on fait le tour quand on est compagnon ; une France qui s'anime avec l'apparition des voies ferrées, des canaux et des routes praticables toute l'année ; une France cimentée par la paysannerie.
C'est fou qu'un Anglais ait si bien compris l'identité d'un pays qui n'est pas le sien. Sans doute parce qu'il l'appréhende par le désir, ce côté buissonnier si cher à Blondin, autre grand amateur de la petite reine. Cette histoire de France vue de vélo a le mérite de s'adapter à la vitesse à laquelle les nouvelles circulaient selon Balzac : 14,5 km/h...