Avec ses accroche-cœurs et sa fraîcheur mutine, on dirait une héroïne de la nouvelle vague. Par exemple Anna Karina, quand elle répétait "Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire !". Pourtant Rébecca Dautremer n’a pas dû rester les bras ballants dans son atelier, vu la trentaine d’albums qu’elle a déjà illustrés, la plupart chez Gautier-Languereau, dont quelques-uns avec son mari, l’auteur pour la jeunesse Taï-Marc Le Thanh.
On tombe illico sous le charme de son atelier inspiré, où la muse doit se frayer un chemin parmi un joyeux bazar de gouaches, crayons, esquisses, photos, pense-bêtes. Très vite, l’œil identifie une planche de son dernier opus, Le bois dormait, qui revisite La belle au bois dormant. L’album plonge dans un univers onirique, on est au royaume de la Haute poésie, en Haute enfance. Les gouaches de Rébecca Dautremer extraient des images lumineuses du minerai opaque, brut, dont sont faits nos rêves les plus enfouis. L’adaptation du célèbre conte est libre. Deux personnages, dont un prince, s’approchent d’une ville et découvrent que ses habitants sont tous endormis. Porteuse de fagots, enfants sur une balançoire, voyageurs d’une gare, ça roupille dans tous les coins. Même deux boxeurs qui devraient se cogner dessus sont tombés dans les bras l’un de l’autre. C’est Morphée qui a remporté le match. Nos deux compères devisent sur ce grand sommeil universel. Peur ? Conservatisme ? A la fin, le prince entre dans l’image et dans l’histoire. Et, comme on sait, les baisers des princes peuvent beaucoup… La parabole sur l’attente et sur l’envie de changer les choses est proprement féerique.
Montrer ce qui est absent
Des contes, Rébecca Dautremer en a illustré beaucoup, toujours en les détournant. Son Petit Poucet est raconté sous la forme facétieuse et inventive d’un journal secret. "Il y a des gens qui aiment le réel, moi non, lâche- t-elle. Je m’arrange pour glisser un peu de surréalité, un grain de sable." Pour elle, paradoxalement, l’illustration ne doit jamais "illustrer", mais montrer ce qui est absent du texte, jouer avec le rapport texte/image. Dans l’album Yéti, une jeune fille ignore que le yéti qu’elle recherche désespérément est avec elle depuis le début sous la forme de… son ombre. Poésie et humour sont résolument compatibles chez l’illustratrice. Son sens de la couleur est aussi inouï, comme sur cette planche, reprise en couverture, où une balayeuse est endormie sur son balai au milieu d’un tournoiement de feuilles mortes carmin. Partout dans l’album éclatent les bruns profonds, les bleus de Prusse de la gouache, comme patinés, habités de l’intérieur.
Trop réservée
Modestie ? Timidité ? Rébecca élude : "Bien plus que la couleur, c’est la lumière qui m’intéresse." Profondeur de champ, cadrage, angle de vue, flou, elle compose ses planches comme des photographies. "On me dit souvent que mes peintures sont comme des photos ratées. En sortant des Arts déco, j’aurais pu être photographe de studio, mais j’étais trop réservée pour ça." Sur une étagère, justement, une photo en noir et blanc. Un beau jeune homme - son père - joue de la flûte andine sur une marche où dansent des ronds de soleil. A son côté, une adorable petite fille tient une feuille de platane à la main. Elle semble subjuguée par le dessin délicat de la feuille. Sans doute une scène fondatrice de son futur don. Fabienne Jacob
Rébecca Dautremer, Le bois dormait, Sarbacane. Prix : 18 euros. Sortie : 2 novembre, ISBN : 978-2-84865-906-0