Dans les romans de Christine Montalbetti, l’histoire est souvent géographie, l’esprit des lieux travaille le cœur des hommes. Après deux textes japonais (L’évaporation de l’oncle en 2011 et Love Hotel en 2013), la romancière s’en est retournée aux Etats-Unis, l’un de ses espaces de fiction préférés, le décor de Western (2005) et de Journée américaine (2009)… pour y prélever une nouvelle fois des "fragments d’Amérique". Nous voici à Cannon Beach, une ville balnéaire de l’Oregon, en bord de Pacifique, où un Français de passage, descendu dans un motel pour une nuit, se souvient comment il a partagé des mois durant les bières et les confidences de Colter, Shannon et Harry Dean, trois gars désemparés, genre de cow-boys côtiers, échoués là. L’action, un western humide et venté, une road-story immobile, se déroule hors saison entre la plage et Le Retour d’Ulysse, le bar du taiseux Moses. Ajoutons à ce synopsis quelques seconds rôles : Perry, "le type qui lisait le récit de l’expédition Lewis et Clark", Wendy, la serveuse du Blueberry, Mary et ses jupes à franges et le menaçant McCain…
Mais dès la deuxième page, en hôtesse complice et prévenante de ses livres, fidèle à son habitude d’impliquer familièrement son lecteur, la romancière dévoile son intention. "Dans tout ça, ce qu’il faut par-dessus tout, c’est que vous entendiez l’océan." L’océan et sa "colère inexplicable". Car ces paysages et ces héros ne seraient que des stéréotypes de cinéma sans les images méticuleuses et abyssales que la romancière convoque, si l’écriture n’installait pas cette tension, ce balancement régulier entre tristesse et humour. Un humour qui vient sans cesse contenir le débordement des drames ordinaires et des grandes catastrophes. L’éruption du mont Saint-Helens en 1980 devient ainsi dans le récit du narrateur : "Et ça glisse, ça glisse, toute cette roche qui s’écroule, ça vous fait du 150 miles à l’heure, cette saloperie, ça recouvre vallées et lacs, et gare à vos fesses si vous vous trouvez sur le chemin."
Concentrant ses capacités contemplatives et son acuité sensorielle, Christine Montalbetti qui aime tant insuffler âme et conscience, à la plus inerte et à la plus passive des choses, vous fera voir "des photons franchement à la ramasse", un "papa fronton" et ses "frontounets", des "volcans pas francs du collier", "un hasard bécasson"… Lira dans la fumée d’une cigarette "se tortillant vivement dans l’air froid". Elle est la romancière du pressentiment et du flottement. L’écrivaine de la mélancolie floue, des désarrois incertains, des émotions fugitives, des désertions sans bruit ni fureur. Elle joue avec les échelles, spatiales et temporelles, alternant l’immuable et le fragile, le doux et le féroce. Le temps vulnérable des humains et celui, géologique, des éléments, des volcans et de l’océan. Des vagues et du vent : ce qui reste à entendre quand l’histoire est terminée.
V. R.