Le dit d'Ibuki. Le Fight Club à Tokyo est plus dédié aux ébats qu'aux combats, c'est un love hotel. Les love hotels au Japon sont des hôtels pour l'amour... plutôt extraconjugal. Les amants se voulant discrets préfèrent aux fredaines chez l'un ou l'autre ce genre de nid douillet sans réservation. Le Fight Club a ceci de particulier qu'il est réservé aux hommes qui aiment les hommes, mais qui ne l'assument pas forcément (l'acceptation des gays dans la société nipponne n'est pas une affaire réglée). Là, au sous-sol, dans une pénombre bleutée et sur fond d'électro, les clients se cherchent avant de rejoindre n'importe quelle chambre inoccupée, lorsque ça matche.
Au Fight Club, le narrateur de L'homme camouflage de Jose Andō aime retrouver Ibuki, un « blackmix japonais », un Afro-Asiatique, qui diffuse ses propres vidéos porno sur un site payant. Ibuki était déjà présent dans le premier roman de l'auteur, Juste Jackson (Fayard, 2024), dont cette deuxième fiction est un préquel. Peu après avoir couché avec lui, le narrateur apprend qu'on a retrouvé Ibuki inconscient. Il se rend dans la pièce où le métis gît sur un matelas trempé : « Je comprends rapidement que le liquide qui se répand sur le matelas n'est pas de l'eau. La peau d'Ibuki est recouverte de son propre sang et de sa propre merde, comme si quelqu'un avait voulu la profaner. » Peau plus sombre, comme celle du narrateur, lui aussi de sangs mêlés, à qui lbuki, jumeau de métissage et d'orientation sexuelle, inspire autant de désir qu'une sorte de haine de soi en miroir...
Acte homophobe et raciste ? La police va enquêter. Alors que tous les clients ont pris la poudre d'escampette, le narrateur repart au bureau. Surnommé « PNJ » par ses collègues, en référence au « personnage non-joueur » généré par algorithme dans un jeu vidéo, il est moins falot qu'il n'y paraît. On le suit dans sa poursuite du coupable des violences commises sur Ibuki. Le récit fascine et glace à la fois par le ton distancié du salaryman, dont la colère réfractée s'exprime par des pratiques sadomasochistes : morsures, infliction de lésions et autres blessures... Né en 1994 à Tokyo d'un père noir et d'une mère japonaise comme ses personnages blackmix, l'auteur happe le lecteur autant par la ténébreuse esthétique de son intrigue que par l'acuité de ses observations. Jose Andō a une façon tout à fait à lui, sensorielle, charnelle, de faire ressentir la solitude intersectionnelle de ses antihéros- par les mots de la peau.
L'homme camouflage
Fayard
Traduit du japonais par Léonore Shiina
Tirage: 2 600 ex.
Prix: 20,90 € ; 144 p.
ISBN: 9782213731117