Avant-critique Roman

Garrett Carr, "Le garçon venu de la mer" (Gallmeister)

Garrett Carr - Photo © DR/Gallmeister

Garrett Carr, "Le garçon venu de la mer" (Gallmeister)

Rentrée littéraire

Dans l'Irlande des années 1970, la découverte d'un bébé sur une plage bouleverse une famille et tout un village de pêcheurs. À travers cette histoire, Garrett Carr explore avec justesse l'attitude d'une communauté face à un monde en mutation.

Parution 20 août

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Par Julie Malaure
Créé le 15.07.2025 à 14h00

Un Moïse irlandais. Qu'est-ce qu'une bonne histoire, sinon une fracture, l'irruption de l'extraordinaire dans la normalité ? Ici, le point de rupture est rose, potelé et gazouillant : un bébé. Il arrive dans un tonneau, par la mer. À ce titre, on aurait pu le baptiser Diogène ou Moïse, mais ce sera Brendan. Normal, nous sommes à Killybegs, dans le Donegal, la région la plus septentrionale d'Irlande. Le nourrisson passe de bras en bras les premiers jours, nul ne sachant que penser de cet ange charrié par l'Atlantique. Un « don de la mer » ou un cadeau empoisonné ? Peut-être juste un nouveau-né victime de la misère sociale en 1973 ? Le propriétaire d'un chalutier, Ambrose Bonnar, marié à Christine Lyons avec qui il a eu un fils, Declan, propose de l'adopter. Le garçon venu de la mer ausculte l'intimité de cette famille transformée par l'arrivée de Brendan, qui va grandir mais rester un enfant singulier, auréolé de son arrivée mystérieuse - pendant un temps, on lui prêtera même le don de réaliser des miracles ! Cet enfant aux distractions étranges, vagabondes, un solitaire, est souvent comparé à son frère aîné, le fils légitime. Le roman révèle les années d'antagonismes entre les deux frères, la jalousie corrosive de la tante Phyllis, restée vieille fille au chevet du patriarche Lyons, tandis que chaque chapitre ouvre sur « la ronde des saisons », soulignant le passage du temps à la fois linéaire et cyclique.

Car il est ici question du temps et de son empreinte. Autrement dit, de la constance d'un peuple dans un monde en mutation. En filigrane, le roman évoque les changements de l'industrie de la pêche et l'évolution des bateaux, du chalutier aux navires à gros tonnage. Il s'agit d'une course contre la montre, contre la concurrence, pour la survie de la profession et des familles de marins. L'époque voit la création des quotas de pêche de la CEE, l'ouverture des eaux territoriales. Ce roman, écrit dans la perspective d'un « nous » collectif, embrasse la culture, les traditions, l'identité du village. Ce « nous » dit aussi comment le village fait corps. Cette communauté est comme un organisme vivant ; elle s'émerveille du garçon venu de la mer comme d'une greffe, puis le rejette comme un corps étranger. Le titre du roman est trompeur : le sujet n'est pas l'enfant, mais tout ce qui l'environne.

L'auteur, Garrett Carr, qui enseigne l'écriture créative au Seamus Heaney Centre à l'université Queen's de Belfast, écrit sur ses terres, le Donegal, où il a vu le jour il y a pile un demi-siècle. Après quelques livres pour la jeunesse, il signe ce premier roman pour adultes, simple, juste, qui a reçu un franc succès outre-Manche. On pense alors - autre temps, autre genre, mais même île - à Normal People de Sally Rooney (Éditions de l'Olivier, 2021, repris en Points), adapté en série TV en 2020. À croire que l'Irlande est en train de devenir la place forte- sinon le sanctuaire- de la normalité en littérature.

Garrett Carr
Le garçon venu de la mer
Gallmeister
Traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre Bondil
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 24,90 € ; 416 p.
ISBN: 9782351783474

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