Correspondance/France 8 nov. Jacques Vaché

Un écrivain sans œuvre ? Après tout, il existe bien des œuvres sans écrivains... Le cas de Jacques Vaché (1896-1919) est assez surprenant. De lui on connaît un début de nouvelle, Le sanglant symbole, et un texte poétique, Blanche Acétylène. Mais qu'en aurait-on retenu s'il n'y avait ses lettres, qu'André Breton publia en partie au Sans Pareil en 1919. Il l'enrôle à titre posthume dans un autre combat, celui du surréalisme. Il crée le personnage en même temps qu'il révèle un ton et un destin. Il a rencontré en 1915 le jeune soldat blessé à l'hôpital de Nantes où il est infirmier. Il est immédiatement fasciné par ce dandy des tranchées. « Je promène de ruines en villages mon monocle de Crystal et une théorie de peinture inquiétante », écrit-il à Breton en 1916. En 1918, il donne à Aragon du « cher ami et mystificateur ». De quoi a-t-il peur ? Des diptères. « Il y a surtout des mouches plein le soleil, et des gamelles douteuses bourdonnantes - il me faudrait des bons complets de serpillière vert d'eau, un gilet blanc de barman - et ces femmes à la dissolvante odeur de linge sale parfumé... »

Tout Vaché est là. Inattendu dans le grave, grotesque dans le pathétique. Dans sa préface, Patrice Allain dévoile le caractère de ce sale gosse qui ne sait pas qu'il est surréaliste. On distingue les lettres à ses parents et celles à ses amis. Le délire est souvent pour les seconds. On sent que Vaché se précipite. Il le dit à Breton. L'insoumission radicale qui est la sienne est sans issue. Pour lui, la der des ders, c'est la lettre qu'il envoie et qu'il pense chaque fois être l'ultime.

Il n'y a pas que de la poésie dans ces messages. Ça prend aux tripes, ça vous donne la nausée de cette guerre pleine de boue et de fureur, cette boue que l'on aurait bien du mal à pétrir pour en faire de l'or... « J'ai chaque soir l'appréhension de traverser cette mer d'excréments. » Pourtant Vaché parvient à tirer de ce bourbier un monde, le sien. Un monde fait d'étoiles filantes à la place des avions, un monde de pétards en guise de bombes hurlantes avec des cauchemars au-dessous de chaque trou. « Que va-t-il sortir de là, bondieu ? »

Il parle de l'« humour » qui est le sien. « Etes-vous sûr qu'Apollinaire vit encore, et que Rimbaud ait existé ? » Il signe quelquefois Jacques Tristan Hylar. Il n'y a pourtant pas de quoi rire... Il accompagne ses missives de petits dessins élégants. Il écrit à son père, à sa mère, à sa tante et à ses proches. Il raconte, ce qu'il voit et ce qu'il ne voit pas de ce « monde extérieur ». Il dit « merdre » comme le père Ubu. « Il fait une chaleur pleine de mouches et d'odeurs de boîtes de conserve entrouvertes. »

Peut-on considérer l'édition définitive de ces 158 lettres comme une œuvre ? A 23 ans, Vaché succombe en 1919 à une surdose d'opium. Accident ou suicide ? Il fut déclaré « mort pour la France ». Pourtant, derrière l'ironie de l'épitaphe, il y a bien une réalité. « Je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village. » Oui, celui qui se disait « pohète » est bien mort pour la France. Et ce paquet de lettres remue encore comme un paquet d'écume sur une mer démontée.

Jacques Vaché
Lettres de guerre - Edition présentée et annotée par Patrice Allain et Thomas Guillemin
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 24 euros ; 480 p.
ISBN: 9782070417865

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