Avant-critique Essai

Fabienne Brugère, "Désaimer. Manuel d'un retour à la vie" (Flammarion)

Fabienne Brugère - Photo © Philippe Matsas/Opale/Leemage/Flammarion

Fabienne Brugère, "Désaimer. Manuel d'un retour à la vie" (Flammarion)

Dans un essai sur le désamour, Fabienne Brugère fait l'anatomie de la fin d'une histoire tout en y voyant le début d'autre chose.

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Par Sean Rose
Créé le 10.05.2024 à 14h00

Précis de décomposition amoureuse. Le ti esti, le « qu'est-ce que c'est », des Grecs s'est appliqué très tôt à l'amour, incarné par Éros et dont les convives du Banquet de Platon ont interrogé la nature. Ainsi distinguait-on l'Éros fidèle, attaché à l'âme, de l'Éros vulgaire, n'aspirant qu'à la jouissance du corps. Aristophane évoque dans le même dialogue socratique ces êtres primordiaux sphériques composés de moitiés mâle/femelle, mâle/mâle ou encore femelle/femelle, que Zeus avait scindés en deux pour les empêcher de conquérir l'Olympe. Nous sommes depuis en quête de notre part manquante... L'amour, quand ça se termine, intéresse aussi la philosophie. Claire Marin a consacré un essai remarqué sur les ruptures, dont la fin de la relation amoureuse (Rupture(s), Éditions de l'Observatoire, 2019). Dans Désaimer de Fabienne Brugère, ce n'est pas de tant le terme d'une histoire que le processus de délitement du sentiment amoureux que l'autrice d'On ne naît pas femme, on le devient (Stock, 2019) analyse. Le désamour, objet de sa réflexion, est disséqué à travers les divers stades de décomposition du lien qui unissait entre elles deux personnes, ou un être à un idéal, à un pays... Dans la solitude de l'abandon ou la froidure de l'indifférence, on se demande comment on a pu être aimé et ne l'être plus, comment on a pu hier brûler d'une telle flamme et n'éprouver aujourd'hui que néant d'émoi. Du trop-plein à plus rien... C'est incompréhensible ! Ce genre de mystère sidère autant que celui du passage de vie à trépas. On a beau se raisonner, s'empêcher d'aimer afin de ne pas souffrir de l'amputation affective, pour ne pas se laisser happer par la béance de l'absence, l'intelligence est impuissante à consoler un cœur endeuillé. Hume ne le dit pas autrement : « La raison est et ne doit être que l'esclave des passions ; elle ne peut jamais remplir un autre office que celui de les servir et de leur obéir. »

Fabienne Brugère détaille les « trois D : déception, distance, et détachement ». Tout spécialiste d'esthétique et de philosophie de l'art qu'elle est, l'autrice de Désaimer n'en oublie pas pour autant les leçons des Anciens sur la vie bonne, notamment celle des stoïciens. Contre le désamour, on ne peut agir, mais sur son propre comportement, oui ! Faute d'extirper les racines d'un chagrin contre quoi on ne peut rien, il nous faut nous comporter « comme si »- maintenir une attitude droite et ouverte sur le monde et à autrui. Ainsi donc cette manière d'être, plus qu'un agissement social ou qu'une pose esthétique, invite à être d'une autre manière et constituera les prémices d'un changement existentiel. Et partant, les premiers pas vers la guérison. Le sous-titre de cet essai est, rappelons-le, « manuel d'un retour à la vie. »

Fabienne Brugère
Désaimer. Manuel d’un retour à la vie
Flammarion
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 231 p.
ISBN: 9782080441959

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