Romain Slocombe a déjà consacré au Japon, dont il est familier, plusieurs livres marquants, dont un roman policier, Un été japonais et paru chez Gallimard en 2000, repris chez "Folio policier" en 2006.
Le voici de retour à Tokyo avec un roman original, grave et saisissant. Il y dépeint, sous la plume de Friedrich Kessler, un jeune Allemand, patriote, antisémite mais pas vraiment nazi, qui s’est fait nommer diplomate pour fuir le front, les années de guerre, de 1942 à 1945, vécues par les Japonais. Il y montre les civils surtout, victimes d’abord "seulement" des restrictions et de l’effort de guerre, puis de la désinformation, des mensonges officiels et de la propagande nationaliste et belliqueuse la plus hystérique et la plus absurde, au fur et à mesure que les armées nipponnes subissent des défaites de plus en plus cuisantes, puis des bombardements américains qui sèment la désolation partout dans le pays, surtout dans les grandes villes. Tokyo ressemble, en mars 1945, calcinée par les bombes incendiaires, à une nouvelle Pompéi. Enfin, le 6 août 1945, Hiroshima, apocalypse aussi barbare qu’inutile. Le Japon, de toute façon, aurait capitulé.
Dans ses lettres à sa sœur Liese, journaliste berlinoise qui va vivre de son côté tous les drames du conflit, Friedrich se rend bien compte que leur cause est perdue, que l’alliance germano-nipponne était une aberration - les Allemands installés au Japon, y compris les diplomates, sont devenus de plus en plus suspects au fil des mois, puis même victimes d’hostilité et de racisme anti-Blancs. Alors, il va mettre à profit sa position privilégiée, puis les instants de répit que lui laisse la guerre, pour découvrir la culture japonaise traditionnelle. Il se passionne en particulier pour le peintre Hiroshige, l’un des maîtres de l’estampe, qu’il se met à collectionner. A la fin, dans Kyoto épargnée par les bombes, il rencontre un intellectuel indien, le Dr Banerjee, en train de mourir de la tuberculose, un disciple de Vivekânanda qui lui enseigne la voie du satori. Alors qu’il est en route pour faire retraite au monastèree bouddhiste de l’île de Shikoku, Friedrich passe par Hiroshima... Victime du Mal absolu, dont il était, quelque part et à son infime niveau, responsable. Sa sœur, elle, a survécu. Elle a conservé ses lettres, elle les a communiquées à un éditeur, lequel présente l’ouvrage.
Une fiction, mais qui pourrait être réelle tant elle est documentée. Le lecteur y croit, emporté par ce roman puissant, impitoyable mais sans manichéisme aucun. Et qui donne à réfléchir, juste après la commémoration d’Hiroshima, au moment où un certain nationalisme japonais semble renaître. J.-C. P.