Avant-critique Essai

Hélène L'Heuillet, "Le vide qui est en nous" (Albin Michel)

Hélène L'Heuillet - Photo © DR/Albin Michel

Hélène L'Heuillet, "Le vide qui est en nous" (Albin Michel)

Avec habileté, Hélène L'Heuillet examine la sensation de vertige dans nos vies et en tire quelques enseignements pour rétablir l'équilibre.

Parution 2 octobre

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Par Laurent Lemire
Créé le 23.09.2024 à 14h00

L'air du vide. « Une fois rien, c'est rien ; deux fois rien, ce n'est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s'acheter quelque chose, et pour pas cher. » En décortiquant le langage, en jouant avec les mots, Raymond Devos révélait le sens caché de ces derniers. Hélène L'Heuillet fait de même avec la question philosophique du vide. Pas le vide en général, celui des physiciens, mais celui qui est en nous. « L'adjectif latin "vastus" signifie "vide, désert, ravagé". Il a la même racine que "vanus", "vain", à savoir, en latin, le verbe "vacare", "être vide". » Déjà, avec la simple étymologie, nous entrevoyons la richesse du sujet.

La philosophe et psychanalyste nous avait enthousiasmés il y a quatre ans avec son Éloge du retard (Albin Michel) qui posait de manière décalée la question du temps et de notre rapport à lui. Elle aborde ici une notion essentielle, bien plus profonde qu'il n'y paraît, surtout quand on furète un peu dans la thématique. « Au lieu de redouter le vide, nous devrions bien plutôt nous inquiéter du plein qui, sous toutes ses formes, fait figure d'idéal contemporain alors qu'il est source suprême d'aliénation. »

Elle souligne combien aujourd'hui le plein est associé au plaisir et le vide à la peine. On retrouve ce dernier dans l'expression « n'avoir plus rien à se mettre » qui nécessite de refaire le plein de vêtements, de cacher un manque, de consommer davantage en utilisant une autre « forme vide », l'argent. La peur du vide fait aussi songer au deuil, à ce vertige de l'absence. « En ouvrant une grande béance en nous, le deuil nous confronte à nous-mêmes. »

Et que dire du langage, y compris celui que nous utilisons pour parler du gouffre sous nos existences ? Bien souvent, nos phrases sont creuses. « Parler, c'est faire des trous. » Mais des trous dans quoi ? Des trous pour quoi ? En paraphrasant Les mots bleus de Christophe, il s'agirait de dire des mots creux, ceux qu'on dit avec les cieux, des mots qui ne disent rien de notre séjour terrestre, lui préférant les mystères d'un au-delà dont on ne sait guère davantage. « Si les mots d'amour disent quelque chose en ne disant rien, les mots de la communication ne disent rien en laissant croire qu'ils disent quelque chose. » On le constate parfois avec certains discours politiques.

Par des chapitres habilement maîtrisés comme des étapes sur un chemin escarpé, entre Kant et Lacan, Hélène L'Heuillet circule avec beaucoup d'élégance dans un sujet par définition vertigineux. Son livre, ce n'est pas courant, aide à faire le plein de vide, à questionner ce que l'on est, à se laisser aller aux bonheurs du langage, à la vacance de l'imagination car « avec l'angoisse du vide naît la liberté ». On pense à la chanson de Julien Clerc et Étienne Roda-Gil, Ce n'est rien, qu'elle cite. Elle complète la jonglerie de Devos. Les petits riens forment des grands tout, comme les vides nous amènent à faire le plein de nous-mêmes. Avec une belle énergie, Hélène L'Heuillet nous donne l'occasion de réfléchir à nos vies et de faire un vrai nettoyage mental. Par le vide.

Hélène L'Heuillet
Le vide qui est en nous
Albin Michel
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 21,90 € ; 288 p.
ISBN: 9782226473400

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